Joies et misères de l’imprévisible hiver - Musée McCord Stewart
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Journal personnel de Louis-Alexandre Taschereau, 1883-1884. Don de Michel Taschereau, Fonds Louis-Alexandre Taschereau P632, M2004.13.1, Musée McCord Stewart

Joies et misères de l’imprévisible hiver

Les archives gardent la trace des émotions que les aléas de l’hiver ont fait vivre aux Québécoises et Québécois des siècles derniers.

Dans une série de 12 articles publiés dans le cadre du projet Sensibilités partagées, nous partons à la recherche des émotions, des sensations et des valeurs enfouies dans les documents d’archives, tout en nous interrogeant sur la manière dont le contexte culturel et historique les façonne.
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« Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver! », chante le poète Gilles Vigneault. L’hiver est en effet une réalité puissante qui, depuis des siècles – voire des millénaires –, force les habitants de ce pays à adapter annuellement leur mode de vie. Il s’impose à leurs sens et à leurs sensibilités, influe sur leur vie affective, ce dont témoignent de nombreux documents d’archives conservés dans les collections du Musée.

Tempêtes mémorables et redoux perturbateurs

Les journaux intimes, témoins des jours qui passent, contiennent beaucoup de références à la température, aux phénomènes atmosphériques extraordinaires ou non. Comme si les rédacteurs et rédactrices voulaient garder la trace de ces événements qui marquent d’une note épique le quotidien hivernal, mais qui s’estomperont inévitablement de la mémoire si l’on ne se fie qu’à elle. Des historien·ne·s s’intéressent d’ailleurs de plus en plus à ce genre de documents pour écrire, dans les mots d’Alain Corbin, « une histoire de la sensibilité au temps qu’il fait ».

Dans le premier cahier du journal qu’elle tiendra pendant plus de trente ans, Marie-Angélique Hay Des Rivières (1805-1875), épouse d’Henri Desrivières (v. 1805-1865), note une série d’événements météorologiques marquants survenus depuis 1833. Elle écrit par exemple qu’en 1834, l’hiver est venu faire des siennes jusqu’au milieu du mois de mai! « 14 mai 1834, il a neigé cette journée-là, et pendant plusieurs jours – les poêles chauffent, comme au beau milieu de l’hiver. » [traduction]

L’entrée suivante du cahier garde le souvenir d’une autre tempête marquante, observée du mont Royal1 trois ans plus tard :

Le 17 février 1837, il y a eu une tempête épouvantable – la neige tombait en abondance – il faisait 17 degrés – le vent soufflait si fort que l’on pouvait à peine tenir debout – on n’avait jamais entendu parler d’une journée aussi épouvantable auparavant – Depuis la montagne, le temps était effectivement très, très maussade. [traduction]
M2012.63.1.1 (p.3), P752 

Inversement, Marie-Angélique signale un redoux exceptionnel au mois de janvier 1838, qui bouleverse les habitudes hivernales de transport :

8 janvier 1838, un temps extraordinaire pour la saison – le fleuve coule comme en été, il a plu sans arrêt pendant quelques jours – un homme a conduit son cabriolet hier – les routes sont très mauvaises pour les déplacements en carriole – les bateaux, les canots circulent aussi facilement qu’au milieu de l’été. [traduction]
M2012.63.1.1 (p. 9)

La météo d’un collégien

Quarante-cinq ans plus tard, en 1883, le jeune collégien Louis-Alexandre Taschereau (1867-1952), futur premier ministre du Québec, note lui aussi les aléas du temps qu’il fait dans le journal qu’il a entrepris d’écrire durant ses études au Petit Séminaire de Québec. La météo semble offrir un peu de divertissement et d’aventure dans une vie routinière d’étude constante, scandée par le rythme des messes, des versions et thèmes latins et des épreuves académiques. Le jeune homme de quinze ans décrit par exemple le plaisir qu’il a eu à jouer sur la terrasse Dufferin avec ses camarades après une chute de neige :

1er février 1883 : Ce matin après la messe, nous nous sommes rendus, tous les élèves de ma classe et moi sur la terrace [sic] où nous avons eu beaucoup de plaisir. Beauchemin a quasi été assommé par la neige! 
M2004.13.1 (Partie 1, p.19), P632

Héritier d’une famille seigneuriale de la Beauce, sur la rive sud de Québec, Taschereau signale dans les jours suivants que le froid intense et la neige ont permis la formation d’un pont de glace sur le Saint-Laurent. Comme l’explique l’historien Jean Provencher, ces ponts facilitaient grandement les communications l’hiver, ainsi que les échanges économiques entre les deux rives du fleuve2.

Cependant, un redoux vient jouer les trouble-fêtes à la mi-février. Une pluie abondante fait tomber la neige des toits et provoque des accidents, menaçant même une infrastructure moderne implantée à Québec trois ans plus tôt : le téléphone3.

Vendredi 16 février 1883 : Il fait aujourd’hui un vrai temps de chien. La pluie, la première de cette année, tombe en très grande abondance. 

Samedi 17 février : Le mauvais temps d’hier s’est continué aujourd’hui et la pluie tombe comme de plus belle. La neige qui tombe de toutes part [sic] du toit des maisons a causé plusieurs accidents dans la ville. Pendant la nuit dernière il y a eu 3 poteaux des fils du téléphone brisés par la glace.
M2004.13.1( Partie 1, p. 35-36), P632 

Maladies saisonnières et remèdes maison

Décrivant la façon dont les Québécois d’autrefois vivaient la saison froide, Jean Provencher relate que dans la vallée du Saint-Laurent à cette époque, « on hiverne » : « La maison devient le centre du monde. La vie se fait tout intérieure. […] Le poêle chauffe à plein. On le surchauffe même. » (p. 411) Hier comme aujourd’hui, cet enfermement n’est pas sans conséquence pour la santé physique et psychologique des hivernants.

Dans une lettre adressée de Montréal en avril 1830 à sa sœur Marie-Rosalie Papineau Dessaulles (1788-1857), Louis-Joseph Papineau (1786-1871) se réjouit d’apprendre que sa mère et toute la famille se trouvent en bonne santé. Malheureusement, de son côté, les nouvelles ne sont pas aussi bonnes :

Chez moi au contraire nous sommes tous cacochymes4 et souffrans [sic]. Julie est inconsolable, – sans force et sans en vouloir prendre, sans vouloir sortir un moment de la maison. Par crainte des inconveniens [sic] que pouvaient occasioner [sic] le froid elle s’est jetté [sic] dans ceux que donnent [sic] le chaud. La maison a été une étuve. Puis la moindre impression de froid devient dangereuse. Les enfans [sic] ont le Rhume; la pauvre mère s’attache de plus en plus à ce qui lui en reste; les enfans [sic] ne veulent bientôt plus recevoir de secours d’aucun autre et – la conséquence en est qu’avec sa douleur, un rhume de six semaines, la fièvre […] elle n’a de repos ni jour ni nuit, Dans ce moment point – de cuisinière, bon nombre d’hommes travaillant au jardin, et moi absent du matin au soir, ayant accepté la charge de tuteur de Mlle Desrivières et procédant à l’inventaire et à régler des affaires compliquées et difficiles5.
P010/A4,3 (p. 43)

Le journal personnel de Marie-Angélique Hay Des Rivières, quant à lui, fait parfois office de carnet de santé, gardant la trace des différentes maladies qu’ont traversées ses enfants…

Henry, Frobisher et Theodore ont eu la rougeole en février 1837
[…]
Henry et Frobisher ont eu la scarlatine en juin 1837
Theodore l’a attrapée lui aussi. Les trois en ont très peu souffert. [traduction]
M2012.63.1.1 (p. 5-6)

… et même d’une vaccination, procédure qui semble encore novatrice à son esprit, puisqu’elle souligne le mot :

Le 2 avril 1839 mon cher bébé Francis Henry a été vacciné, ça a fait effet immédiatement et s’est révélé très efficace, le vaccin venait du beau petit garçon de Mme de Rocheblave – âgé de 15 mois. [traduction]
M2012.63.1.1 (p.12)

Cependant, face aux maux de la saison hivernale, les remèdes traditionnels paraissent les plus souvent privilégiés, notamment dans les campagnes. Dans une lettre envoyée depuis la Petite-Nation à son père Denis-Benjamin Papineau (1789-1854) le 18 novembre 1846, la jeune Julie-Séraphine-Aurélie Papineau (1830-1926) mentionne l’application de suif de mouton sur la poitrine d’un enfant souffrant :

Le petit Godefroy a le rhume très fort ces-jours-ci, la nuit dernière nous avons été bien inquiets, car il avait la respiration bien gênée, nous lui avons mis du suif de mouton sur la poitrine, ce matin il est beaucoup mieux quoique un peu oppressé.
P010/B4 (p. 64-67)

Pareillement, Provencher reproduit dans son ouvrage (p. 419) la recette d’une « pommade contre les crevasses aux mains » à base de moelle de bœuf crue, de graisse de rognons de veau, de miel, d’huile d’olive et de camphre, parue dans la Gazette des campagnes en décembre 1875.

Les livres de cuisine anciens contiennent souvent ce genre de remèdes maison. Fille d’un des signataires de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, Anne Emily Rush (1779-1850) s’est installée au Bas-Canada après avoir épousé à Philadelphie George Ross Cuthbert (1776-1861), seigneur de Lanoraie et d’Autray. Son livre de recettes, daté de vers 1801, contient la recette d’un « Caudle for the sick », sorte de potion alcoolisée composée de pain ou de gruau, d’œufs, de sucre et d’épices, censée nourrir et hâter la guérison des malades.

L’hiver finit toujours par se retirer…

Malgré tous les fléaux qu’on a dû endurer pendant ces longs mois de froidure, le printemps finit par arriver, avec sa fraîcheur et un sentiment de renaissance et de renouveau… Tout de suite après la litanie citée plus haut, on constate que Louis-Joseph Papineau a déjà la tête au jardinage : sa sœur Rosalie semble lui avoir demandé de lui acheter des arbres en ville, et il remplit la page suivante de sa lettre à expliquer en détail, sur un ton un peu paternaliste, les choix qu’il a faits et les espèces qu’il lui envoie (P010/A4,3, partie 1, p. 44).

Quant au jeune Taschereau, quelques jours après avoir été témoin de l’incendie du parlement de la côte de la Montagne6 (19 avril 1883) – certains collégiens regrettant apparemment que le séminaire ait été épargné par les flammes! –, il a l’occasion d’apprécier le 23 avril un tout autre spectacle, annonciateur du printemps :

Le pont de glace sur le fleuve que l’on désirait tant l’automne dernier est parti ce matin au grand contentement de tout le monde. Je suis allé voir passer les glaces à la Basse-ville.
M2004.13.1 (Partie 1, p. 103)

Enfin, la vie peut recommencer…

Attribué à W. Scheuer, Vue de la Terrasse Dufferin, Québec, d’après une photographie de Livernois, Canadian Illustrated News, 7 décembre 1879. Musée McCord Stewart, M991X.5.871

Notes

  1. Il n’est pas clair si Marie-Angélique écrit ces mots depuis Burnside, le domaine de James McGill et site de la future Université McGill au pied du mont Royal, dont son mari Henri avait hérité par son père. On croit que les Desrivières l’avaient quitté depuis quelque temps, et résidaient peut-être dans le domaine voisin de leur parent, James McGill Desrivières.
  2. Provencher, Les quatre saisons…, p. 525-539. Voir en fin d’article les références complètes aux ouvrages cités.
  3. https://www.journaldequebec.com/2018/09/25/photos-voici-la-petite-histoire-du-telephone-a-quebec
  4. Cacochyme : vieux ou par plaisanterie. D’une constitution faible, d’une santé déficiente. ➙ maladif. (Le Petit Robert)
  5. Papineau s’occupait à cette époque de la succession de François-Amable Trottier Desrivières (1764-1830), l’héritier de James McGill, qui l’avait engagé pour se défendre contre les prétentions de l’Institution royale pour l’avancement des sciences, désireuse de fonder l’Université McGill : http://www.biographi.ca/fr/bio/desrivieres_francois_6E.html
  6. https://www.assnat.qc.ca/fr/visiteurs/parlement/parlement-1792.html

Références

Corbin, Alain. « Pour une histoire de la sensibilité au temps qu’il fait » dans Dix ans d’histoire culturelle, sous la direction d’É. Cohen, P. Goetschel, L. Martin et P. Ory, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2011, p. 82100. https://doi.org/10.4000/books.pressesenssib.1011

Corbin, Alain (dir.). La pluie, le soleil et le vent. Une histoire de la sensibilité au temps qu’il fait, Paris, Aubier, 2013.

Provencher, Jean. Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent, Montréal, Boréal, 1996.