Découvrir James Weston - Musée McCord Stewart
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Notman & Sandham, Carnaval de patinage, Montréal, 1881, photographie composite. Don de la succession de Mlle J. G. Morse, N-0000.149, Musée McCord Stewart

Découvrir James Weston

Découvrez comment le savoir-faire des artistes permettait aux premiers photographes de surmonter les limites techniques de leur époque.

Heather McNabb, Ph. D., archiviste de référence, Centre d’archives et de documentation, Musée McCord Stewart

2 mars 2023

Des lumières électriques et des flammes colorées illuminaient la grotte de glace construite pour ce carnaval de patinage tenu à Montréal le 5 mars 1881. Il s’agissait du troisième carnaval masqué organisé à la patinoire Victoria cette année-là.

Cette scène photographique animée a été réalisée par le studio Notman & Sandham, et par l’artiste James Weston. L’image est le résultat combiné du savoir-faire du photographe et de l’artiste.

LA PETITE HISTOIRE

Le Musée McCord Stewart est un lieu où des questions de toutes sortes – grandes et petites, vieilles et nouvelles – sont posées et résolues quotidiennement. Il arrive parfois qu’une nouvelle demande de recherche conduise le personnel du Musée sur une piste qui lui permet d’élucider une ou plusieurs énigmes qui remontent à très loin. Dans le cas présent, une question au sujet de l’identité du photographe d’une vue ancienne de Victoria, en Colombie-Britannique1, a mené de façon imprévue à une recherche d’information sur l’un des artistes au service de William Notman, le peintre James Weston.

LES ARTISTES DE NOTMAN

Les affaires allaient rondement au studio photographique de Montréal en décembre 1869 lorsque William Notman (1826-1891) a embauché James Weston (1841-1922) afin qu’il se joigne à Henry Sandham (1842-1910), William Fraser (1841-1905) et Edward Sharpe (1850-1871), membres de l’équipe du service artistique du studio.

Dans l’univers sépia précédant l’avènement de la photographie en couleurs, les artistes pouvaient apporter une petite, voire une grande touche de couleur à un portrait là où la chimie du photographe s’avérait impuissante – moyennant un léger supplément, bien sûr!

La signature de James Weston figure sur bon nombre de photographies peintes – des portraits de particuliers et des photographies composites de groupes – conservées dans les Archives photographiques Notman, qui font partie de la collection Photographie du Musée McCord Stewart.

PHOTOGRAPHIER DES GROUPES

Les photographies composites2 étaient un moyen pratique de créer des portraits de groupes à une époque où la technologie photographique rendait la chose compliquée, surtout à l’intérieur. Comme chaque personne dans un groupe était photographiée séparément, les photographies composites offraient également au modèle et au photographe le luxe de disposer de plus de temps pour soigner la pose.

Le personnel découpait le portrait résultant pour ensuite le coller avec d’autres et réaliser ainsi une photographie de groupe, le plus souvent devant une toile de fond peinte. Une fois retouchée, l’image finale était rephotographiée et tirée en plusieurs exemplaires pour satisfaire à la demande de la clientèle. Une image composite pouvait également être agrandie photographiquement sur un papier ou une toile, minutieusement peinte à l’huile ou à l’aquarelle par les artistes de Notman et montée dans un cadre décoratif.

À gauche : Notman & Sandham, A. G. Lord costumé en « Arlequin », posant pour une photographie composite, Montréal, 1881. II-60011.1, Musée McCord Stewart
À droite : Notman & Sandham, Mlle Bethune costumée en « Incroyable », posant pour une photographie composite, Montréal, 1881. II-60155.1, Musée McCord Stewart

Les quatre saisons sont représentées sur les photographies composites peintes par Weston pour le studio Notman : on y voit des arrière-plans enneigés, comme dans la photographie des élèves de Bute House en train de patiner, ou des arbres sur le mont Royal en été, comme dans Royal Montreal Golf Club ou Équipe de cricket des Gentlemen of England. Les eaux tumultueuses du fleuve illustrées par Weston dans Big John et son groupe descendant les rapides de Lachine ont dû donner un grand frisson aux cinq hommes à bord de la chaloupe le 5 octobre 1878.

Les artistes de Notman remplissaient à longueur d’année d’innombrables commandes pour des portraits peints, grands et petits, rehaussés de pastel, d’aquarelle ou de peinture à l’huile.

À gauche : Notman & Sandham, Mme John R. Meeker (Caroline Isabel Gilmour) en robe de mariage, Montréal, 1882. II-64699.1, Musée McCord Stewart
À droite : James Weston, Mme John R. Meeker (Caroline Isabel Gilmour) en robe de mariage, Montréal, photographie peinte, 1882. Don de Mme Robert P. Jellett, N-1976.265.3, Musée McCord Stewart

UN LIEU DE TRAVAIL FLEXIBLE

Précieux employés du studio Notman, les artistes avaient la permission de poursuivre leurs propres activités artistiques à l’extérieur de leurs heures de travail rémunérées.

Avant d’être embauché par Notman, James Weston avait déjà participé à des expositions d’art locales. Membre de la Society of Canadian Artists, il avait exposé ses peintures à l’huile et ses aquarelles à deux reprises en 1868, aux côtés des œuvres de Henry Sandham, un artiste du studio Notman qui allait plus tard devenir son collègue et son superviseur. Tout en travaillant au studio, Weston a continué à exposer ses œuvres, ce qui a pu l’aider à décrocher des commandes de décoration intérieure, comme pour l’église Saint-Clément à Beauharnois en 18743, et la Banque Nationale à Québec en 1875.

UN ARTISTE FORT OCCUPÉ

Entre son emploi régulier et ses commandes de décoration intérieure, Weston trouvait le temps de réaliser des dessins que publiait le Canadian Illustrated News (CIN). Les sujets de Weston allaient de scènes montréalaises à des croquis d’événements de l’actualité, et même des caricatures politiques.

James Weston, L’édifice de l’Art Association, square Phillips, Montréal, publié dans le Canadian Illustrated News, 31 mai 1879. 1970.266, Musée McCord Stewart

Dans l’annuaire de Montréal de 1880, il figure comme surintendant du service artistique de la Burland Lithographic Company, qui publiait le CIN. Cette même année marque la fondation de l’Académie royale des arts du Canada, dont Weston deviendra un membre associé. Hormis quelques absences autorisées aux étés de 1876 et 1877 et durant tout l’automne et l’hiver de 1879-1880, Weston est resté sur la liste de paie du studio Notman de Montréal (renommé Notman & Sandham en 1877) pendant 12 ans.

Malgré ses nombreuses autres responsabilités, Weston a également enseigné le dessin à main levée un ou deux soirs par semaine à la School of Arts and Design durant les mois d’automne et d’hiver de 1879 et 18804. Commanditées par le Conseil des arts et manufactures de la province de Québec, les classes étaient offertes gratuitement aux ouvriers dans le but de leur enseigner comment comprendre et exécuter l’application du dessin en « arts mécaniques et industriels »5.

James Weston, School of Arts and Design de Montréal, publié dans le Canadian Illustrated News, 12 avril 1879. 1970.253, Musée McCord Stewart

On se demande bien comment Weston a réussi à inscrire toutes ses activités à son horaire! Cependant, le volume de ses entreprises artistiques semble avoir atteint un point culminant en 1881, et en septembre 1882, il quittait son emploi au studio de Montréal de William Notman.

LA VIE DE WESTON AVANT MONTRÉAL

Il existe étonnamment très peu d’information publiée sur James Weston. Les sources ont tendance à lui attribuer des dates de naissance et de mort erronées, et le confondent souvent avec son fils James Louis Weston (1864-1946) qui était également un artiste. Stanley Triggs, conservateur retraité des Archives photographiques Notman, s’est demandé si la date de naissance couramment publiée de 1816 était exacte. Les doutes au sujet de la date de naissance de Weston auraient été alimentés par le fait qu’il a l’air d’un homme plutôt jeune dans les portraits du studio Notman.

Aujourd’hui, à l’ère numérique, une recherche générale permet de trouver des réponses à nos vieilles questions dans des sources auxquelles nous n’aurions peut-être pas pensé auparavant. Par exemple, on peut lire dans un journal numérisé de Halifax une biographie qui avait été publiée lors de la participation de Weston à l’exposition de l’Académie royale des arts du Canada tenue dans la ville en 1881. On y apprend que Weston est né en Angleterre, qu’il est arrivé au Canada à l’âge de 21 ans et qu’il a d’abord travaillé comme peintre de fresques, décorant les intérieurs d’une résidence privée et de loges maçonniques, en plus de ceux de la Banque Nationale, de l’église Saint-Clément et d’autres églises.

En consultant les différents documents numérisés qui retracent sa vie, nous découvrons qu’il est né en 1841, qu’il s’est marié à Londres en janvier 1860 et que le père de sa femme Selina était aussi un artiste, le sculpteur Louis-Victor Fréret6. La trajectoire de Weston de l’Angleterre à Montréal n’a pas emprunté une ligne droite. James et Selina habitaient sur la rue Shaftesbury à Londres au moment de leur mariage, et selon le recensement de 1861 de Canada-Ouest, le couple et leur fillette Julia vivaient dans une habitation en rondins d’un étage à Muskoka, dans le comté de Simcoe. James y est inscrit comme agriculteur. Son beau-frère Gustave Fréret exploitait lui aussi une ferme non loin, en compagnie de ses parents, Louis-Victor et Euphrasie. Ce détour se reflète vraisemblablement dans des œuvres ultérieures de Weston illustrant Muskoka.

Selon le recensement de 1881, Eloise et James Louis, les enfants de James et Selina, sont nés en Ontario.7. Le fait que les trois plus jeunes de leurs six enfants soient nés au Québec concorde avec les renseignements que l’on trouve dans les annuaires de la ville de Montréal, où Weston figure pour la première fois comme peintre en 1866.

William Notman Studio, James Weston, Montréal, 1872. I-76622.1, Musée McCord Stewart
William Notman Studio, Mme James Weston (Selina), Montréal, 1872. I-76421.1, Musée McCord Stewart

DÉPART POUR BOSTON

Ayant remarqué la signature de James Weston sur une photographie composite de 1889 montrant le président américain Harrison et son cabinet, produite par la Notman Photographic Company à Boston, Stanley Triggs se doutait que Weston avait déménagé à Boston après avoir quitté le studio de Montréal. En effet, James Weston figure dans l’annuaire de 1883 de Somerville, au Massachusetts, et au fil des ans, les journaux ont rapporté à quelques reprises ses activités à Boston et dans les environs.

Après son déménagement aux États-Unis, Weston semble avoir travaillé à son compte de même que pour le studio de la Notman Photographic Company situé rue Park. À la fin de l’année 1885, William Notman a fait appel à lui pour produire une série de peintures à l’huile représentant des villes du Canada, agrandies à partir de photographies. En tout, neuf panneaux de 2,7 x 2,5 mètres ont été commandés au studio Notman de Montréal par le gouvernement du Dominion, à être accrochés dans le vestibule de la galerie canadienne à l’Exposition coloniale de Londres en 18868.

Wm. Notman & Son/James Weston, La ville de Québec depuis la Pointe-Lévis, Québec, vers 1890, photographie composite. VIEW-1561, Musée McCord Stewart

Tout porte à croire que Weston a mené une vie moins mouvementée à Boston par la suite. Aucune preuve de sa participation à des sociétés d’artistes ou à des expositions n’a encore fait surface, et rien n’indique qu’il aurait enseigné. Le Boston Globe rapportait son décès le 11 novembre 1922.

NOTES

1. Voir l’article à venir de David Mattison dans Photographic Canadiana.

2. Parfois appelées en anglais Composition photographs à cette époque.

3. La décoration intérieure élaborée, pour laquelle il a reçu 4 000 $, comprenait quatre panneaux peints dans la voûte d’environ 6 x 3 mètres. « James Weston, A. R. C. A. », The Halifax Herald, vendredi 8 juillet 1881, p. 1; Beauharnois : paroisse Saint-Clément, Ottawa, La Cie d’Imprimerie, 1920. Consulté en ligne via Canadiana, décembre 2023.

4. « School of Art and Design », The Gazette, Montréal, vendredi 29 octobre 1880, p. 1.

5. « School of Art and Design », Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, lundi 31 mars 1879. Consulté en ligne via BANQ, janvier 2023.

6. Mariage, James Weston et Selina Fréret, 30 janvier 1860, église St. John the Baptist, Hoxton, Middlesex, Angleterre. Consulté en ligne via Ancestry, décembre 2023; Certificat de naturalisation, James Weston de Boston, artiste. Consulté en ligne via Ancestry, décembre 2023.

7. James Louis Weston est né en 1864 selon son acte de baptême conservé à l’église anglicane Saint John the Evangelist à Montréal, daté de 1875.

8. « The Colonial Exhibition », The Gazette, Montréal, mercredi 23 décembre 1885, p. 7.

À propos de l'auteure

Heather McNabb, Ph. D., archiviste de référence, Centre d’archives et de documentation, Musée McCord Stewart

Heather McNabb, Ph. D., archiviste de référence, Centre d’archives et de documentation, Musée McCord Stewart

Mettre au jour les histoires que peuvent receler les photographies est une véritable passion pour Heather, qui trouve tout aussi inspirant d’aider les chercheurs au Centre d’archives et de documentation. Elle est fascinée par les découvertes au sujet des gens, des lieux et des événements du passé qu’amène la consultation des collections du Musée.
Mettre au jour les histoires que peuvent receler les photographies est une véritable passion pour Heather, qui trouve tout aussi inspirant d’aider les chercheurs au Centre d’archives et de documentation. Elle est fascinée par les découvertes au sujet des gens, des lieux et des événements du passé qu’amène la consultation des collections du Musée.