J. J. Milloy : tailleur de mode à Montréal il y a un siècle - Musée McCord Stewart
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Robe tailleur (détail), J. J. Milloy, 1887. M2009.62.1.1-2, Musée McCord Stewart

J. J. Milloy : tailleur de mode à Montréal il y a un siècle

Découvrez J. J. Milloy, un tailleur ayant fait sa marque à Montréal il y a un siècle, et pourquoi les douanes américaines voulaient l’arrêter.

Le Musée a la chance de posséder deux robes portant l’étiquette du « tailleur de mode » de Montréal J. J. Milloy, datant toutes deux de la fin des années 1880.

À gauche : Robe tailleur, J. J. Milloy, 1887. M2009.62.1.1-2, Musée McCord Stewart
À droite : Robe de soirée, J. J. Milloy, 1889. Don de Mme Donald F. Angus, M975.21.1.1-2, Musée McCord Stewart

L’une d’elles est un exemple exceptionnel de « robe tailleur », devenue la spécialité de Milloy lorsqu’il a élargi sa clientèle aux femmes au milieu des années 1880. C’est cette robe qui m’a incitée à explorer la documentation historique sur les affaires de Milloy à Montréal, ce qui a mené à d’étonnantes découvertes au sujet d’une activité illicite impliquant plusieurs tailleurs de la ville.

John Joseph Milloy est le troisième enfant d’une famille irlandaise catholique dont les cinq garçons sont nés à Naas, dans le comté de Kildare. La famille quitte le pays vers la fin de la vague d’émigration irlandaise provoquée par la Grande Famine. Le 9 juin 1853, alors que John est âgé de 4 ans, la famille arrive à Montréal pendant l’émeute Gavazzi, un conflit durant lequel les troupes armées ont fait feu sur la foule d’Irlandais catholiques protestant contre un discours anti-catholique1.

James Duncan, L’Émeute Gavazzi, à Montréal, publiée dans The Illustrated London News, 9 juillet 1853. Don de J. Russell Harper, M967.138.18.1, Musée McCord Stewart

Trois ans après leur arrivée, le père de John meurt. Son acte de décès indique qu’il était manœuvre. L’aîné de la fratrie deviendra jardinier paysagiste, le deuxième fils marbrier, alors que les trois plus jeunes seront tous tailleurs. Seul John J. connaîtra un succès durable dans ce secteur, les deux autres ayant fini par occuper d’autres emplois.

Notman & Sandham, John J. Milloy, tailleur, Montréal, 1877. II-46663.1, Musée McCord Stewart

Il n’existe aucune information sur le genre de formation qui aurait préparé John J. Milloy au métier de tailleur. Il se lance en affaires comme marchand-tailleur vers 1870, offrant des vêtements masculins prêt-à-porter et sur mesure dans sa boutique, le St. Joseph Clothing Hall. En 1879, sa publicité vante le fait qu’il possède la plus grande maison de confection de la ville et qu’il emploie les meilleurs coupeurs. Mais plus important encore, elle cible une clientèle d’hommes en visite à Montréal, les informant de sa capacité à fabriquer des vêtements dans un court délai2. Milloy a su reconnaître un marché lucratif hors de sa sphère locale.

Par ailleurs, Milloy ne tarde pas à élargir son champ d’activité au-delà de l’habituelle clientèle masculine. Dans les années 1880, la mode des robes et des costumes tailleurs pour femmes gagne rapidement du terrain. Les vêtements de laine féminins, notamment les habits d’équitation, faisaient partie depuis longtemps du répertoire du tailleur pour hommes, alors que les vêtements en soie et en coton étaient typiquement fabriqués par des couturières. Dans le dernier quart du 19e siècle, les femmes étant maintenant plus actives à l’extérieur de la sphère domestique et pratiquant des sports comme le tennis, le golf et la bicyclette, on a vu se multiplier les occasions où les costumes tailleurs étaient considérés comme les plus chic et les plus pratiques à porter.

En 1884, il décroche le premier prix pour une robe de ville, une robe du soir et une mante dans une exposition nationale annuelle de produits agricoles et commerciaux. Dans l’édition de 1885 du guide touristique humoristique The Phat Boy’s Delineations of the St. Lawrence3, la référence à son commerce, simplement identifié comme « Milloy, le tailleur » dans les éditions précédentes, est accompagnée de la mention « où les tailleurs pour dames sur mesure sont une spécialité ».

Sur une photographie datant de 1886, la femme de Milloy porte indéniablement un costume tailleur. En 1878, John Joseph avait épousé Josephine Shea de Brooklyn, New York, fille d’immigrants irlandais née aux États-Unis, qui avait terminé sa scolarité dans un couvent près de Montréal. Le couple a eu plusieurs enfants, comme en témoigne un portrait de famille.

Wm. Notman & Son, John J. Milloy et sa famille, Montréal, 1898. II-126414, Musée McCord Stewart

Durant le reste de sa carrière, les publicités de Milloy mentionnent cette spécialité de sa maison. Une annonce parue en 1890 dans un guide d’hôtel destiné aux touristes décline la gamme de vêtements pour femmes qu’il est en mesure d’offrir, soit « des tailleurs, des habits d’équitation, des châles, des manteaux de type Newmarket et Ulsterette, des manteaux de ville, etc.»

En 1893, J.J. Milloy jouissait déjà d’une réputation enviable auprès des femmes des classes supérieures de la société canadienne, notamment les épouses de ses compatriotes britanniques. Dans une lettre datée de cette même année de Lady Stanley, la femme du gouverneur général sortant, adressée à Lady Aberdeen, l’épouse du prochain gouverneur général, elle la prévient qu’il n’y a pas de bonne couturière à Ottawa. Elle lui recommande toutefois « quelqu’un d’excellent pour confectionner des costumes tailleurs à Montréal, du nom de Milloy; ses prix sont élevés et il est difficile, mais il fait du très bon travail5 ».

Durant sa carrière, Milloy a subi plusieurs revers importants qui lèvent le voile sur un aspect peu connu du commerce du vêtement à Montréal. À la fin de 1885, il semblerait que les fonctionnaires des douanes américaines et le département du Trésor américain étaient au courant depuis plus d’une décennie que des tailleurs canadiens embauchaient des agents aux États-Unis pour rencontrer des clients, prendre leurs mesures et passer des commandes pour des vêtements masculins et féminins. Apparemment, le carnaval d’hiver de Montréal, qui a eu lieu cinq fois entre 1883 et 1889, aurait grandement aidé Milloy à bâtir sa réputation auprès de la clientèle américaine.

Milloy a souvent été aperçu en train de traverser la frontière avec de grosses valises, mais il semble qu’il ait aussi engagé un porteur pour wagons-lits qui aurait glissé des colis sous les couchettes supérieures. Selon l’agent spécial du Trésor américain pour le Vermont et le nord de l’État de New York, J.J. Milloy aurait apporté pour 20 000 $ de vêtements de cette façon pendant une décennie, sans payer les frais de douane de 45 %. Milloy était l’un des hommes d’affaires montréalais que les agents des douanes avaient l’ordre d’arrêter s’ils franchissaient la frontière.

La veille de Noël en 1885, alors qu’il était en route pour Brooklyn pour supposément visiter la famille de sa femme, Milloy fut arrêté à Plattsburgh, New York. Les tribunaux américains ont été saisis de l’affaire qui s’est étirée pendant des années. En 1889, il a plaidé coupable et a dû payer une amende de 200 $. Comme cette somme est loin d’équivaloir à 45 % de 20 000 $, il semble que les accusations aient été considérablement réduites.

En 1892, Milloy est passé près d’être accusé de nouveau de contrebande, mais on a découvert qu’un ancien employé, qui avait récemment lancé sa propre entreprise, avait soudoyé le coupeur de Milloy et un agent des douanes américain afin de tendre un piège à Milloy et l’obliger à abandonner les affaires.

En 1895, Milloy a déménagé sa boutique de la rue Saint-Jacques pour s’installer aux 2301 et 2303, rue Sainte-Catherine, alors située entre l’avenue McGill College et la rue Mansfield. Il y est resté pendant dix ans, pour ensuite s’établir brièvement rue Peel, puis sur l’avenue McGill College, avant de fermer son entreprise vers 1913. Lui et son épouse sont décédés en 1937.

Ernst Neumann, La librairie de Milloy, avenue Du Parc, Montréal, 1947. Don de Lillian Segall, M2000.29.4, Musée McCord Stewart

À cette époque, la famille de Milloy était bien connue à Montréal pour un autre type d’activité commerciale. Sa mère et son frère aîné possédaient une librairie très en vue, longtemps située dans une vieille maison du côté nord de la rue Sainte-Catherine, à l’ouest de Bleury6.

NOTES

1. Montreal Gazette, 2 mai 1921.

2. Phelan Brothers’ St. Lawrence Traveler, Montréal, Phelan Bros., 1879, p. 111.

3. Babbage, E. F. The Phat Boy’s Delineations of the St. Lawrence River and its Environs, 4e édition, Rochester, NY, Post-Express Printing Co., 1885.

4. The Windsor Hotel Guide to the City of Montreal and for the Dominion of Canada, Montréal, J. Lovell, 1890, p. 121.

5. Lettre de Lady Stanley à Lady Aberdeen, 2 septembre 1893, MG27-IB5, Bibliothèque et Archives Canada, citée dans Doris French, Ishbel and the Empire, Toronto et Oxford, Dundurn, 1988, p. 133, 326.

6. Montreal Star, 2 février 1911; Montreal Gazette, 14 avril 1990.