La mode et le carnaval d'hiver de Montréal - Musée McCord Stewart
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Artiste inconnu, Bienvenue au carnaval d'hiver de Montréal de 1887. Meilleurs souhaits de la compagnie Johnston Fluid Beef, 1887. Don de la succession de Mme E. J. Mount Duckett, M17429, Musée McCord Stewart

La mode et le carnaval d’hiver de Montréal

Y avait-il un « style » carnaval d’hiver? Que portaient les gens sur l’immense pente de toboggan?

Cette robe tailleur ressemble beaucoup à la mode illustrée dans les magazines de 1887, mais lors d’une semaine particulière au beau milieu de l’hiver montréalais, elle a pu attirer l’œil de touristes y voyant une élégante adaptation pour l’intérieur d’un vêtement d’extérieur omniprésent dans les rues et les parcs de la ville.

En février 1887, Medora Robbins Crosby de Boston, au Massachusetts, a acheté cette robe du tailleur de mode J. J. Milloy, situé au 259, rue Saint-Jacques à Montréal. Son mari, Edward Harold Crosby, était un journaliste du Boston Post dépêché dans la ville. Ils en ont profité pour visiter le carnaval d’hiver, tout comme plusieurs autres touristes américains.

Découvrez la première partie de l’histoire
J. J. Milloy : tailleur de mode à Montréal il y a un siècle

Medora avait fort probablement entendu parler de l’établissement de Milloy avant sa venue à Montréal. Les consommateurs américains avertis savaient que les vêtements canadiens en lainage fabriqués par des tailleurs offraient une meilleure qualité à des prix beaucoup plus bas que ceux qu’ils pouvaient acheter chez eux. De nombreux marchands montréalais profitaient de cette occasion spéciale pour promouvoir leurs produits, et Milloy était connu pour faire des affaires lucratives avec une clientèle de l’extérieur durant le carnaval d’hiver.

SOURCES D'INSPIRATION DE LA MODE EN 1887

Cette robe était sans doute en montre dans la boutique cette semaine-là pour inciter les clientes à s’en procurer un modèle sur mesure. Mais qu’est-ce qui a pu inspirer les choix stylistiques de Milloy? Et qu’est-ce qui a pu attirer Medora vers cette robe blanche aux rayures rouge vif?

En 1887, la silhouette à la tournure volumineuse et la jupe à rayures horizontales de couleurs contrastantes étaient du dernier cri, comme en témoignent les illustrations de mode de l’époque. Il se peut fort bien que pour la jupe et l’épaulette garnissant le corsage, Milloy se soit inspiré d’une gravure de mode semblable à celle-ci publiée dans le journal londonien The Queen.

À gauche : Dernières tendances parisiennes. Robes pour bals, soirées et réceptions, publié dans The Queen, The Lady’s Newspaper, 6 août 1887. M2001X.6.1.36, Musée McCord Stewart
À droite : détail

LA MODE POUR LES SPORTS D'HIVER

En ce qui concerne la palette de couleurs de sa robe et l’emplacement de la garniture, il est également possible que Milloy ait eu en tête le vêtement emblématique de l’événement de la semaine. Dans le spectacle coloré des sports d’hiver de la ville, Medora se serait retrouvée plongée dans une mer de raquetteurs et d’amateurs de toboggan emmitouflés dans des manteaux couvertures.

Wm. Notman & Son, Mme H. D. Polhemus et ses amis, Montréal, 1885. II-76226.1, Musée McCord Stewart

Avant même son arrivée, elle aurait vu les manteaux blancs bordés de rouge sur la couverture du programme vendu par le Central Vermont Railroad. Une illustration d’une version féminisée figurait dans le programme-souvenir vendu à Montréal.

Les manteaux couvertures étaient exposés bien en vue dans les vitrines des merceries et des boutiques de tailleurs. Certains touristes allaient au studio Notman pour se faire prendre en photo vêtus d’un manteau couverture, en souvenir de leur participation au carnaval.

Wm. Notman & Son, Mlle Pollard, Montréal, 1886. II-79691.1, Musée McCord Stewart

La plupart des manteaux couvertures étaient blanc cassé avec des épaulettes rouges ou bleues et des rayures de couleur vive à l’ourlet et aux poignets. Il ne reste que peu de ces manteaux pour femmes datant de cette période, mais le Musée en possède quelques-uns dans sa collection, dont celui-ci confectionné dans les années 1880, dont la coupe et les rayures sont très typiques, contrairement au modèle beaucoup moins commun dont la couleur de fond est foncée.

Manteau couverture, vers 1885. Don de Christine Forbes, M983.27.2.1, Musée McCord Stewart

Se pourrait-il que le design de la robe de Milloy fût une variation fantaisiste du manteau couverture? Les deux ne se ressemblent peut-être pas suffisamment pour en avoir la certitude, mais ils ne sont pas assez différents non plus pour en rejeter entièrement l’idée. Et si cette robe faisait délibérément référence à ce style de manteau, qu’est-ce que cela signifierait?

 Que nous dit l’étiquette d’un vêtement ?
Qui a porté cette robe?

UN IDENTIFIANT AUTOCHTONE

Le manteau couverture tire ses origines d’un vêtement de fabrication britannique porté durant le commerce des fourrures aux 17e et 18e siècles. Son usage répandu parmi les peuples autochtones participant à la traite a fait en sorte qu’il est devenu un identifiant vestimentaire des Autochtones.

John Howard Willis, Guide autochtone, lac des Deux Montagnes, Montréal, 1839-1841. M2002.62.28, Musée McCord Stewart

Au milieu du 19e siècle, après avoir repoussé les peuples autochtones aux confins des territoires qu’ils occupaient jadis, les colons ont adopté les raquettes et les toboggans – deux inventions autochtones pour se déplacer sur le sol nord-américain – et les ont ensuite transformés en sports d’hiver, leur accolant les valeurs britanniques de l’esprit sportif en formant des clubs et en organisant des compétitions. Ils ont également adopté le vêtement qu’ils associaient à l’indigénéité pour pratiquer ces activités.

Le toboggan et la raquette sont devenus une performance coloniale qui a naturalisé la domination des colons sur les peuples autochtones. Le caractère pittoresque même du carnaval d’hiver de Montréal était enraciné dans cette performance où le colon démontrait sa capacité à conquérir un territoire hivernal hostile, en y trouvant en fait beaucoup de plaisir.

Dans ce contexte, les manteaux couvertures sont devenus des livrées impériales – des vêtements qui, d’une façon très banale et insidieuse, ont perpétué les discours célébrant la construction d’une nation. Ce n’était pas non plus le seul exemple de vêtement inspiré par des projets de domination impériale.

ADAPTATIONS STYLISTIQUES

Il existe des similitudes dans la façon dont le costume de marin a aussi été adopté par la mode. Il fut également inspiré par un métier difficile qui a soutenu un empire, quoique sur un terrain différent. Ses éléments caractéristiques ont aussi été constamment réinventés et réinterprétés dans la mode de l’époque pour femmes et enfants. Dans ce modèle du milieu des années 1880, ils ont été réinterprétés d’une façon qui rappelle la robe de Milloy.

Les adaptations stylistiques du costume de marin et du manteau couverture résultent d’un acte de mémoire évoquant les mythes fondateurs d’un passé glorifié. La robe tailleur de Milloy ressemblait peut-être énormément aux gravures de mode les plus récentes, mais j’ose avancer que dans le contexte particulier où ses références visuelles pouvaient être facilement appréhendées par une touriste entourée d’une foule vêtue de manteaux couvertures dans les rues et les parcs, il s’agissait encore d’une autre manifestation de cette performance coloniale.

Wm. Notman & Son, Le groupe de toboggan d’A. DeCordova, Montréal, 1887. II-82401.1, Musée McCord Stewart