Alexander Henderson, photographe paysagiste - Musée McCord Stewart
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Alexander Henderson, Inondation printanière près de Montréal, 1965. Don du capitaine John P. T. Dawson, MP-1984.107.12, Musée McCord Stewart

Alexander Henderson, photographe paysagiste

Bien que Henderson ait travaillé dans le style réaliste commun à ses contemporains, c’était un réalisme amplifié par la force de sa vision personnelle.

Stanley G. Triggs, auparavant conservateur des Archives photographiques Notman

3 février 2023

Pendant onze jours d’affilée, les vents d’ouest et les eaux déchaînées d’une tempête de fin d’octobre ont secoué le Baltic lors de sa traversée de Liverpool à New York1. Lorsque le bateau a finalement accosté à huit heures et demie du matin le samedi 3 novembre 1855, deux des passagers exténués étaient M. et Mme Alexander Henderson, dont la destination était Montréal2.

À cette époque de sa vie, Henderson était un comptable de 24 ans avec une âme d’aventurier et de l’argent en poche, résolu à tenter sa chance dans le Nouveau Monde. Le destin a plutôt voulu qu’il devienne un photographe de renommée internationale dont les paysages canadiens, les scènes de la vie urbaine et les vues d’activités de plein air lui ont valu des éloges dithyrambiques au pays comme à l’étranger.

Ces photographies étaient très recherchées par les Canadiens et les touristes comme souvenirs d’événements ou de lieux visités, ou simplement pour leur qualité artistique. Au moins une personne, l’avocat montréalais visionnaire David Ross McCord, fondateur du McCord National Museum (aujourd’hui le Musée McCord Stewart) en 1921, les collectionnait avidement pour leur valeur historique.

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UNE ENFANCE À LA CAMPAGNE

Henderson naît le 9 juillet 1831 dans une famille aisée et bien établie sur l’échiquier social. Sa famille possède Press Castle et son vaste domaine – qui s’étend au sud-est d’Édimbourg. Il y a des forêts et des collines à explorer, des montagnes escarpées à escalader et des ruisseaux cristallins pour aiguiser les talents de pêcheur d’Henderson.

Même la mort de son père, alors qu’Alexander a neuf ans, ne vient troubler que brièvement cette quiétude pastorale, car son oncle Eagle Henderson (1803–1853), également résident de Press, ne tardera pas à le prendre sous son aile. C’est oncle Eagle qui l’emmènera dans des excursions de pêche mémorables et qui a envoyé le jeune homme de 19 ans à Londres en 1851 pour aller voir la toute première Exposition universelle. Cette visite et d’autres voyages en Angleterre, conjugués à l’intérêt de sa famille pour les arts, ont permis au jeune Henderson d’acquérir un bon bagage culturel avant son départ pour le Nouveau Monde.

UNE NOUVELLE VIE AU CANADA

Le 4 octobre 1855, Alexander Henderson épouse Agnes Elder Robertson (1828–1895), la fille d’amis de longue date de la famille. Deux semaines plus tard, le 20 octobre, le couple quitte le port de Liverpool, armé de lettres de recommandation à l’intention de banquiers et de politiciens influents de Toronto, de Kingston et de Montréal.

Les Henderson s’habituent rapidement à leur nouvelle vie au Canada. Ils s’installent au no 3 d’Inkerman Terrace, qui fait partie d’un nouvel ensemble de maisons en rangée de la rue Drummond3. Situé à proximité de marchés, de salles de théâtre et d’églises, et à quelques rues seulement du centre commercial de la ville, le quartier est néanmoins particulièrement attrayant pour qui a grandi sur un vaste domaine à la campagne. Entouré de bâtiments et de vergers, il offre une vue magnifique sur le fleuve où, lorsque le ciel est dégagé, on peut voir les minuscules silhouettes des ouvriers en train d’ériger les premières piles du pont Victoria.

William Notman, Piliers, vus depuis le centre, pont Victoria, Montréal, 1858. Don de Mme Winnifred Hill, N-0000.392.2.25, Musée McCord Stewart

Si les Henderson s’adaptent facilement à leur nouvelle vie à Montréal, l’appel de la nature sauvage canadienne trouve aussi un réel écho chez le jeune adepte du plein air. Au cours de leur premier hiver au pays, ils font un long séjour à Québec où ils louent une carriole et se joignent à la foule qui se déplace sur le Saint-Laurent gelé pour atteindre la chute Montmorency et dévaler avec plaisir en toboggan le pain de sucre formé par la bruine glacée.

SES DÉBUTS EN PHOTOGRAPHIE

Les débuts de Henderson comme photographe sont peu connus, bien que certains des premiers journaux photographiques nous aient laissé quelques indices. Peu après le lancement du journal londonien The Photographic News le 10 septembre 1858, Henderson devient un abonné et un collaborateur régulier. On peut déduire qu’il a commencé à faire de la photographie en 1857 d’après une remarque qu’il a faite dans une lettre publiée dans le numéro du 21 octobre 1859 où il écrit : « Il y a environ deux ans, il s’est produit quelque chose qui m’a vraiment étonné (j’étais alors un débutant)… » C’est la seule indication nous permettant d’affirmer que c’est au Canada, et non en Écosse, qu’il s’est tourné vers la photographie.

The Photographic News nous apprend aussi qu’en tant que membre de l’Amateur Photographic Association, formée en 1861, Henderson a présenté des tirages pour une exposition organisée par l’Association qui devait se tenir à Londres en 1863. Bien que l’exposition n’ait en fait jamais eu lieu, il a obtenu le troisième prix et une mention honorable parmi les deux à trois mille inscriptions4. L’une de ses photographies primées est une vue « instantanée » très réussie du bateau à vapeur Mountain Maid sur le lac Memphrémagog.

En février 1865, lors de l’exposition annuelle de l’Art Association of Montreal, Henderson présente 14 de ses photographies. Plus tard durant l’année, Henderson publie sa première grande collection de photographies sous forme d’album. Manifestement, loin d’être un débutant malhabile, celui-ci était un amateur sérieux et talentueux. Cette publication a sans doute marqué une étape décisive dans la vie du photographe, et a pu l’encourager à se consacrer désormais entièrement à cet art, en tant que professionnel.

D'AMATEUR À PROFESSIONNEL

Le 8 octobre 1866, Henderson tourne définitivement le dos à une carrière de comptable et ouvre un studio de portrait au 10, square Phillips5. Le 19 décembre, il s’annonce comme « photographe portraitiste et paysagiste6 ». Le portrait semble en fait n’avoir occupé qu’une très petite place dans la pratique de Henderson puisqu’il n’y en a que très peu dans les collections et qu’il s’agit dans tous les cas d’œuvres de ses débuts. Au moment de son établissement dans la rue Saint-Jacques en 1874, il se disait « photographe paysagiste ».

À gauche : Alexander Henderson, Thomas D’Arcy McGee, Montréal, 1867-1868. Don de David Ross McCord, M6228, Musée McCord Stewart
À droite : Alexander Henderson, Isabella MacIntosh, Montréal, 1872-1873. Don de Dianne Hornig Stevenson, M2009.7.1.2, Musée McCord Stewart

Les nombreuses photographies de la vie urbaine prises par Henderson – scènes de rue, bâtiments, marchés – sont pleines d’animation. Même pour le paysage, son sujet de prédilection, il compose habituellement ses scènes autour d’activités humaines comme le labourage de la terre, la coupe de la glace sur le fleuve ou la descente en canot d’une rivière en forêt. Des scènes de ce genre, et d’autres illustrant l’industrie forestière, des bateaux à vapeur et des chemins de fer, sont assez recherchées pour permettre à un photographe talentueux de gagner sa vie.

STYLE ET TECHNIQUE

Sur le plan stylistique, le travail de Henderson s’inscrit dans une tradition prépondérante au 19e siècle. La capacité de l’appareil photo à capter les moindres détails plaît à une époque où le réalisme domine la photographie de paysage et le portrait. Néanmoins, si les photographies de Henderson ont un style réaliste évocateur, son utilisation de la lumière et de la texture, conjuguée à sa composition soignée, rend son travail de loin supérieur à celui de la plupart des photographes paysagistes qui lui sont contemporains.

Comme la photographie était un secteur d’activité encore très jeune, un photographe du 19e siècle se devait d’être à la fois un artiste, un homme d’affaires et un chimiste de talent. Ceux qui avaient du succès étaient bien au fait des nouveaux procédés qui permettaient de rendre la tonalité désirée plus facilement, plus rapidement et à moindre coût. S’il partage cet intérêt avec ses collègues, Henderson est peut-être un des plus zélés dans sa quête du parfait procédé négatif 7.

Comme Henderson, lorsqu’il était amateur, achetait son matériel photographique de William Notman, il a certainement eu l’occasion de visiter au moins à quelques reprises le populaire studio de la rue De Bleury.

Une photographie de lui prise par William Notman vers 1864–1865 constitue une autre preuve que les deux hommes se connaissaient bien, qu’ils échangeaient de l’information et qu’ils ont pu travailler ensemble sur diverses expériences. Il s’agit d’un des trois portraits photographiques pris au studio de Notman ayant été exposés à la lumière d’un éclair au magnésium. L’un des sujets est William Notman, et les deux autres sont Alexander Henderson et le Dr Gilbert Prout Girdwood, un pionnier de la radiographie au Canada.

LES GRANDS PROJETS NATIONAUX

En 1872, Henderson commence à photographier différents projets de construction longeant la voie ferrée du chemin de fer Intercolonial (ICR). Il poursuit ce travail de façon intermittente jusqu’en 1875, lorsqu’il obtient une commande de l’ICR pour photographier toutes les structures principales le long de la ligne presque achevée reliant Montréal à l’est du Québec et aux Maritimes8.

Henderson profite du succès du projet de l’ICR pour décrocher des contrats de photographie d’autres installations ferroviaires. En 1877, lui et Jules-Ernest Livernois (1851–1933) obtiennent du gouvernement du Québec une commande pour photographier tous les ponts situés le long de la voie ferrée du Chemin de fer de Québec, Montréal, Ottawa et Occidental (Q.M.O. & O.) qui appartient à la province.

Le fait d’avoir photographié plusieurs des ponts construits pour la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique (CP) a peut-être mené au contrat que Henderson a décroché plus tard auprès de cette compagnie. À la demande de celle-ci, Henderson quitte Montréal en juillet 1885 pour aller photographier dans l’Ouest canadien, le long de la ligne alors presque achevée. L’idée d’un voyage aussi palpitant doit avoir plu à son âme aventureuse, mais un malheureux épisode de fièvre pourprée des Montagnes Rocheuses l’obligera à revenir à la maison après un peu plus d’un mois9.

Néanmoins, son travail a dû plaire aux dirigeants du CP, car en janvier 1892, lorsque la compagnie décide de créer son propre service de photographie, Henderson accepte le travail de directeur qu’elle lui offre. Il entre en poste le 1er avril à un salaire de 166,67 $ par mois, et la photographie sur le terrain fait partie de ses fonctions.

C’est ainsi que plus tard cette année-là, Henderson effectue son deuxième voyage dans l’Ouest. Il quitte Montréal, cette fois confortablement installé à bord d’une voiture appelée « Photographic car no. 200 ». Seulement huit photographies ont été identifiées avec certitude comme ayant été prises lors de ce voyage, dont une se trouve dans les Archives provinciales de la Colombie-Britannique, et sept dans la Collection Photographie du Musée McCord Stewart.

LES DERNIÈRES ANNÉES

D’après les rares références à Henderson et au service de photographie dans les Archives du CP, il est impossible de reconstituer en entier l’histoire de ses années passées avec la compagnie. Puisqu’il est inscrit simplement comme « artiste » dans l’annuaire Lovell de Montréal de 1897, on peut présumer qu’il avait quitté le CP. Comme il n’y a aucune mention d’une quelconque occupation dans les annuaires des années suivantes, on peut en conclure qu’il aurait pris sa retraite à la fin de 1897.

Après la mort de Henderson, à Montréal le 4 avril 1913, sa résidence de Westmount située au 631, avenue Belmont est restée dans la famille. Vers la fin de l’année 1965, c’est du sous-sol de cette maison que son petit-fils Thomas Greenshields Henderson (1906–1969), qui avait hérité de la demeure, a transporté les caisses contenant les précieux négatifs sur verre pour les mettre aux ordures, effaçant le travail auquel son grand-père avait consacré sa vie. La famille, semble-t-il, avait complètement oublié la photographie, car aucun des articles nécrologiques écrits à la mort d’Alexander Henderson en 1913 ne fait la moindre mention de ses activités photographiques.

La valeur des photographies de Henderson, que ce soit du point de vue de la recherche sociale et historique, sur le plan éducatif ou, de façon générale, comme fenêtre sur le passé, est inestimable. Quelle chance extraordinaire pour nous qu’Alexander Henderson ait documenté avec une telle sensibilité quatre décennies du 19e siècle pour les générations futures!

Bien qu’il ait travaillé dans le style réaliste commun à ses contemporains, c’était un réalisme amplifié par la force de sa vision personnelle. Il connaissait la valeur de la lumière qu’il a utilisée de façon audacieuse pour apporter de la profondeur et créer une atmosphère, réalisant des photographies qui, bien au-delà du simple témoignage factuel, documentent le territoire de façon émouvante.

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La version complète de cet essai a été publiée dans Alexander Henderson – Art et nature sous la direction d’Hélène Samson et Suzanne Sauvage.

NOTES

1. « Arrival of the Baltic », New-York Daily Times, vol. 5, no 1289, 5 novembre 1855, p. 1.

2. « List of Passengers by the Baltic », The Gazette, Montréal, vol. 70, no 264, 7 novembre 1855, p. 3.

3. MacKay’s Montreal Directory, 1856, p. 126.

4. The Photographic News, Londres, vol. 7, no 255, 24 juillet 1863, p. 356.

5. The Montreal Daily Witness, 3 octobre 1866; The Gazette, Montréal, vol. 92, no 234, 1 er octobre 1866, p. 2.

6. The Gazette, Montréal, vol. 92, no 302, 19 décembre 1866, p. 2.

7. Lettre d’Alexander Henderson à l’éditeur, « Notes on dry processes », The Photographic News, Londres, vol. 3, no 59, 21 octobre 1859, p. 82–83.

8. Lettre de Sandford Fleming à Ralph Jones, Ottawa, 25 mai 1875, fonds du ministère des Travaux publics, R182 (Mikan 191397), Bibliothèque et Archives Canada. Voir aussi les vues de ponts, de voies ferrées, de tranchées, de tunnels, etc., de l’ICR réalisées par Alexander Henderson, Collection Sandford Fleming, R7666, Bibliothèque et Archives Canada.

9. La fièvre pourprée des Montagnes Rocheuses est une maladie transmise par une tique, fréquente dans les régions montagneuses arides de la Colombie-Britannique et de l’Alberta.

À propos de l'auteur

Stanley G. Triggs, auparavant conservateur des Archives photographiques Notman

Stanley G. Triggs a été conservateur de la collection des Archives photographiques Notman au Musée McCord de 1965 à 1993. Passionné d’histoire il a été un pionnier de la recherche sur le photographe Alexander Henderson.
Stanley G. Triggs a été conservateur de la collection des Archives photographiques Notman au Musée McCord de 1965 à 1993. Passionné d’histoire il a été un pionnier de la recherche sur le photographe Alexander Henderson.