Un art impitoyable - Musée McCord Stewart
en
© Katy Lemay, 2022

Un art impitoyable

Interdit à la vente : la vie privée au studio Notman ou comment contrôler son image au 19e siècle (partie 4/6).

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Katy Lemay, illustratrice

28 juin 2022

Nous ne pouvons savoir avec certitude pourquoi les images produites au studio Notman alimentaient de nombreuses inquiétudes. Les constructions sociales autour de la vie privée, du genre, du commerce, de la classe sociale et de l’autonomie corporelle semblent avoir motivé un certain nombre de restrictions. Toutefois, nous pouvons raisonnablement déduire que les gens de cette époque étaient tout aussi sujets que nous à un accès occasionnel de vanité, et que ce sentiment guidait les efforts pour limiter la circulation des images, flatteuses ou non.

FATALE POUR LES FEMMES

À la fin des années 1850, la poète britannique Elizabeth Barrett Browning a qualifié la photographie de « fatale pour les femmes », car elle produisait des portraits inutilement figés, enlaidissant les sujets et leur donnant un air irrité. Les enjeux de la représentation visuelle ont toujours été élevés pour les femmes, mais la photographie a intensifié et élargi les attentes quant à la performance de la féminité d’une façon socialement acceptable.

Vous avez manqué le début de cette série ?
Voici le premier article Bienvenue au studio

Avant la photographie, les différentes formes de portraits étaient plus flatteuses. Par exemple, les silhouettes bon marché à l’encre noire étaient des découpages en papier reproduisant avec très peu de détails le profil d’une personne. Les portraits peints, accessibles à une partie beaucoup plus restreinte de la population, présentaient souvent le modèle sous un jour avantageux.

Mme TERRETT

L’avertissement de Barrett Browning semble avoir été prémonitoire dans le cas de Mme Terrett qui a posé pour Notman en 1884. Devenue veuve à un âge précoce, Henrietta Terrett avait émigré d’Irlande avec ses cinq enfants afin de leur offrir une meilleure vie à Montréal. Malgré tout ce qu’elle avait réussi à accomplir, la vieille dame photographiée par Notman a l’air complètement abattue.

William Notman, Mme Terrett, 1884. II-73209.1, Musée McCord
Restriction : Not to be sold to anyone without Mrs. H. Dawson’s permission

Pour autant qu’on sache, Mme Terrett était peut-être une âme satisfaite simplement contrariée parce que sa fille, Mme Dawson, avait commandé son portrait. Nous savons par contre que cette dernière avait strictement interdit la circulation de l’image, peut-être pour ménager la sensibilité de sa mère. Le studio avait en effet reçu l’ordre de ne vendre le portrait de la matriarche à personne sans le consentement de Mme Dawson. Semble-t-il que cette directive s’appliquait aussi aux autres enfants de Mme Terrett, les familles étant les plus susceptibles d’acheter des copies pour leurs propres albums ou pour décorer leurs foyers.

La série Interdit à la vente : la vie privée au studio Notman est financée en partie par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

À propos des auteures et de l'illustratrice

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Sarah Parsons, professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Sarah Parsons est professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Elle a rédigé plusieurs textes sur Notman, dont William Notman : sa vie et son œuvre (Institut de l’art canadien, 2014) et « Le studio Notman comme lieu de performance » dans Notman, photographe visionnaire (Musée McCord, 2016), publié sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage. Cette série d’articles fait partie de Feeling Exposed: Photography, Privacy, and Visibility in Nineteenth Century North America, un projet pluriannuel financé en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Sarah Parsons est professeure agrégée et directrice du Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Elle a rédigé plusieurs textes sur Notman, dont William Notman : sa vie et son œuvre (Institut de l’art canadien, 2014) et « Le studio Notman comme lieu de performance » dans Notman, photographe visionnaire (Musée McCord, 2016), publié sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage. Cette série d’articles fait partie de Feeling Exposed: Photography, Privacy, and Visibility in Nineteenth Century North America, un projet pluriannuel financé en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas, Ph.D., Département des arts visuels et de l’histoire de l’art, Université York

Vanessa Nicholas vient de terminer un doctorat au Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Sa recherche porte sur la culture visuelle et matérielle du Canada au dix-neuvième siècle, et sa thèse de doctorat est une étude approfondie des broderies florales qui ornent trois courtepointes canadiennes historiques. Elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier, ainsi qu’une bourse Isabel Bader en recherche et restauration de textiles à l’Agnes Etherington Art Centre en 2019.
Vanessa Nicholas vient de terminer un doctorat au Département des arts visuels et de l’histoire de l’art de l’Université York, à Toronto. Sa recherche porte sur la culture visuelle et matérielle du Canada au dix-neuvième siècle, et sa thèse de doctorat est une étude approfondie des broderies florales qui ornent trois courtepointes canadiennes historiques. Elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier, ainsi qu’une bourse Isabel Bader en recherche et restauration de textiles à l’Agnes Etherington Art Centre en 2019.
Katy Lemay, illustratrice

Katy Lemay, illustratrice

Katy Lemay se passionne pour les arts visuels depuis plusieurs décennies. Son diplôme en design graphique de l’Université du Québec à Montréal lui a donné les outils nécessaires pour devenir une illustratrice grandement respectée. Si elle puise son inspiration dans des magazines et des photographies rétro pour réaliser ses collages complexes, les mots sont également pour elle une source d’idées intarissable.
Katy Lemay se passionne pour les arts visuels depuis plusieurs décennies. Son diplôme en design graphique de l’Université du Québec à Montréal lui a donné les outils nécessaires pour devenir une illustratrice grandement respectée. Si elle puise son inspiration dans des magazines et des photographies rétro pour réaliser ses collages complexes, les mots sont également pour elle une source d’idées intarissable.