Prendre soin : apprentissages et réflexions d’une stagiaire en restauration - Musée McCord Stewart
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Antonia Mappin-Kasirer dans le laboratoire de restauration du Musée McCord Stewart. Sara Serba © Musée McCord Stewart, 2023

Prendre soin : apprentissages et réflexions d’une stagiaire en restauration

Découvrez les délicates considérations techniques et éthiques liées au traitement d’une enveloppe de porte-bébé.

Antonia Mappin-Kasirer, stagiaire, restauration, Musée McCord Stewart

14 septembre 2023

Dans le cadre de ma maîtrise en restauration d’œuvres d’art à l’Université Queen’s, j’ai eu le privilège d’effectuer un stage au laboratoire de restauration du Musée McCord Stewart.

Sous la supervision des restauratrices Sara Serban et Caterina Florio, j’ai participé à l’examen et au traitement d’artefacts aux fins d’exposition, au soin d’objets présentés dans les salles et à d’autres activités du service. Lors du traitement d’un objet en particulier – une enveloppe de porte-bébé en soie et en laine magnifiquement enjolivée – j’ai dû composer avec de délicates considérations d’ordre technique et éthique.

L’enveloppe de porte-bébé avait été choisie pour faire partie de la rotation annuelle des objets présentés dans Voix autochtones d’aujourd’hui : savoir, trauma, résilience, une exposition permanente mettant en lumière la riche collection Cultures autochtones du Musée. Avant de pouvoir être exposé, l’artefact devait être soumis à un examen et à un traitement, et c’est pourquoi il s’est retrouvé sur mon établi.

Utilisés depuis des siècles et jusqu’à nos jours par les communautés autochtones, les porte-bébés permettent de transporter et de protéger un nourrisson tout en libérant les mains de la personne qui en prend soin. Ils sont habituellement constitués d’une mince planche de bois, d’une couverture à emmailloter et de tissus décoratifs servant à maintenir l’enfant sur la planche1.

La décoration soignée de l’enveloppe de porte-bébé sur laquelle je travaillais nous permet de déduire qu’il s’agissait de la dernière pièce de tissu à entourer la planche une fois le bébé installé. Nous possédons peu d’informations sur l’objet. Daté entre 1840 et 1900, il est attribué au peuple haudenosaunee, mais nous ignorons qui l’a fabriqué. Comme l’a écrit Jonathan Lainey, conservateur des Cultures autochtones,

« ne rien savoir au sujet d’un objet fait aussi partie de son histoire. […] Cela révèle les mécanismes des processus de collecte et les façons dont nous avons traité ces objets à un moment donné2. »

Si les dossiers de certains artefacts sont peu étoffés en raison de pratiques de collecte antérieures, ces objets recèlent eux-mêmes de précieuses informations qu’il est toujours possible de recueillir. Il est donc essentiel d’apporter un soin adéquat aux objets et d’en limiter la dégradation, afin qu’ils soient accessibles aux générations actuelles et futures. Prendre soin des collections est le travail auquel nous aspirons en restauration.

Complexe et élaborée, la pièce devant moi témoignait d’un grand savoir-faire. Composée d’une étoffe de laine noire sur laquelle des rubans de soie bleue, rose, pourpre, rouge, verte et mauve ont été cousus à l’aide d’une simple broderie de perles blanches, elle est décorée d’ornements individuels en argent ovales et circulaires disposés en motifs de triangle, de fleur et d’étoile.

Voici des broches en argent de traite, échangées par les Européens à l’époque de la traite des fourrures. Les spécialistes ont noté que le nombre de ces broches sur les vêtements haudenosaunee donnait une idée de la richesse et du statut social de la personne3. Ces ornements apportaient à l’enveloppe du porte-bébé un caractère remarquable, et le contraste de l’argent contre les rubans colorés devait effectivement être saisissant lorsque l’objet fut créé.

Sans doute fabriquée par la mère, une parente ou une amie de la famille4, l’enveloppe avait pour principale fonction de protéger le bébé : le maintenir en toute sécurité dans le porte-bébé, le garder au chaud et lui offrir un bel environnement durant ses premiers mois de vie. Aujourd’hui dans la collection du Musée, l’objet avait besoin de soins.

L’enveloppe du porte-bébé était relativement en bonne condition. Comme tous les objets, elle portait des traces du passage du temps. D’un gris foncé, l’argent avait terni et perdu beaucoup de son lustre. La soie était fragilisée, présentant des déchirures et des signes d’usure aux endroits les plus vulnérables, et les teintures s’étaient décolorées de façon inégale. Certaines des broches de métal tenaient lâchement sur le tissu. Il y avait un manque dans le perlage décoratif.

La nature composite de l’objet représentait un défi sur le plan technique puisque les différentes parties nécessitaient différents types de soins. Les broches de métal, par exemple, risquaient de tomber si on ne les fixait avec un nouveau point de couture. Cependant, il y avait une possibilité que ce travail endommage davantage la soie adjacente déjà en mauvais état.

En restauration, de multiples facteurs entrent en jeu dans la prise de décisions, dont la lisibilité, l’intention de l’artiste et l’impact de la détérioration. Notre code de déontologie nous dicte de limiter notre intervention au strict minimum, de prioriser les soins préventifs et de toujours chercher à ce que notre travail soit réversible5. L’éthique et la pratique de la restauration sont en pleine évolution, à l’heure où les musées font face à la manière dont les collections ont été constituées, leur enchevêtrement avec le colonialisme et l’urgence de les rendre accessibles et/ou de les rapatrier.

Reconnaissant notre rôle comme gardiens temporaires d’artefacts dans une histoire complexe de soin et de collecte – et, dans mon cas, travaillant comme restauratrice non autochtone –, nous nous efforçons de faire ce qu’il y a de mieux pour l’objet en faisant le moins possible à l’objet.

Lorsqu’il fait partie d’une collection muséale, un vêtement est séparé des personnes qui l’ont fabriqué, et de celles dont les ancêtres l’ont peut-être porté. En examinant l’enveloppe de porte-bébé, je ne pouvais pas dire avec certitude si les traces d’usure sur les rubans avaient été causées par l’emmaillotage d’un nourrisson, ou si la tache sur la soie rouge faisait partie de son histoire avant ou après son entrée au Musée. Cependant, sa confection et sa fonction pouvaient m’en apprendre sur les modes de vie et les soins autochtones. La spécialiste métisse canadienne Sherry Farrel Raclette a écrit :

« Déplacer ces objets [les vêtements autochtones conservés dans des collections muséales] dans l’espace public d’une salle d’exposition est un geste de réconciliation qui atteste leur beauté et leur signification, offrant aux visiteurs une occasion de rapprochement et d’apprentissage. […] Ces vêtements sont tels des aînés, gardiens de souvenirs et d’un savoir précieux préservés dans leurs fibres et leurs points de couture6. »

Fondé sur un dialogue constant, un travail de recherche et de documentation, le traitement de l’enveloppe de porte-bébé a commencé. Les déchirures dans les rubans de soie ont été stabilisées en ajoutant au dos un mince renfort semi-translucide. Les ornements en argent ont été fixés à l’aide d’un point de couture lâche réalisé avec un fil dont la couleur se rapproche de l’original. Des interventions esthétiques ont permis d’améliorer l’apparence des zones endommagées ou détériorées : une petite rangée de minuscules perles blanches a été ajoutée pour remplir le manque dans le perlage, et le ternissement de l’argent a été réduit pour révéler un métal plus éclatant. Sans artifice, ces interventions permettent au spectateur d’admirer l’objet sans s’attarder aux dommages7.

La stabilisation et la réintégration esthétique de l’enveloppe de porte-bébé ont été effectuées afin qu’elle puisse être exposée en toute sécurité dans une condition mettant en valeur sa beauté intrinsèque. Après quelques mois de traitement, l’artefact était prêt à entrer dans l’espace d’exposition et j’arrivais à la fin de mon stage d’été au Musée McCord Stewart. J’éprouve de la gratitude pour les nombreux enseignements reçus de mes superviseures, pour chaque objet que j’ai découvert, et tout particulièrement pour ma rencontre intime avec l’enveloppe de porte-bébé. Son traitement m’a propulsée hors de l’environnement « sécurisant » de la salle de classe, et m’a poussée à aborder le soin dans le contexte complexe de nos musées d’histoire sociale, où les objets portent nos histoires compliquées.

Notes

1. Elizabeth Kaweena Montour, « First Nations Cradleboards: An Enduring Heritage » dans Nations to Nations: Indigenous Voices at Library and Archives Canada, 2021, consulté à https://indd.adobe.com/view/c3ed209a-be08-4e4a-a63d-0bff322c4457.

2. Jonathan Lainey, « Telling the Stories of Objects in Museum Collections: Some Thoughts and Approaches » dans Heather L. Igloliorte et Carla Taunton (dir.), The Routledge Companion to Indigenous Art Histories in the United States and Canada, New York, NY, Routledge, Taylor & Francis Group, 2022, p. 297.

3. Musée McCord d’histoire canadienne, Moira T. McCaffrey, Sherry Farrell Racette et Guislaine Lemay. Wearing Our Identity : The First People’s Collection. Sous la direction de Suzanne Sauvage. Montréal: Musée McCord. 2013, p. 68.

4. Elizabeth Kaweena Montour, « First Nations Cradleboards ».

5. Association canadienne pour la conservation et la restauration de biens culturels, Code de déontologie et Guide du praticien, 2000 (réimprimé en 2009).Voir « Normes professionnelles pour la conservation des biens culturels », clauses 2, 7, 16.

6. Sherry Farrel Racette, « Quelles histoires ces vêtements racontent-ils? » dans Porter son identité – La collection Premiers Peuples, Montréal, Musée McCord, 2013, p. 16, 17.

7. Cette technique est inspirée de Giulia Basilissi, et al., « Evaluation of a Dry Method Using Erasers for Silver-Copper Alloy Tarnish Cleaning and Comparison with Traditional Methods », JAIC, vol. 26, no 2, 2022, p. 112-118.

À propos de l'auteure

Antonia Mappin-Kasirer, stagiaire, restauration, Musée McCord Stewart

Antonia Mappin-Kasirer, stagiaire, restauration, Musée McCord Stewart

Antonia Mappin-Kasirer est actuellement inscrite à la maîtrise en restauration d’œuvres d’art (avec spécialisation en restauration d’artefacts) à l’Université Queen’s. Elle est diplômée de l’Université de Toronto (baccalauréat spécialisé en histoire de l’art, 2018) et de l’Université d’Oxford (maîtrise en études des femmes et de genre, 2019). Durant l’été 2023, Antonia a effectué un stage au laboratoire de restauration du Musée McCord Stewart. Depuis septembre, elle poursuit ses études en restauration d’objets à la galerie d’art de l’Université Yale dont elle a obtenu une bourse de recherche.
Antonia Mappin-Kasirer est actuellement inscrite à la maîtrise en restauration d’œuvres d’art (avec spécialisation en restauration d’artefacts) à l’Université Queen’s. Elle est diplômée de l’Université de Toronto (baccalauréat spécialisé en histoire de l’art, 2018) et de l’Université d’Oxford (maîtrise en études des femmes et de genre, 2019). Durant l’été 2023, Antonia a effectué un stage au laboratoire de restauration du Musée McCord Stewart. Depuis septembre, elle poursuit ses études en restauration d’objets à la galerie d’art de l’Université Yale dont elle a obtenu une bourse de recherche.