Évolution de la restauration : récit d’une carrière et d’une passation - Musée McCord
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Anne MacKay et Caterina Florio dans un des laboratoires de restauration du Musée McCord. Marilyn Aitken © Musée McCord, 2021

Évolution de la restauration : récit d’une carrière et d’une passation

Une conversation entre Anne Mackay et Caterina Florio, qui réfléchissent au passé, au présent et à l’avenir de leur passion commune, la restauration.

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

28 septembre 2021

Anne MacKay et Caterina Florio sont assises au bureau d’Anne, dans un des laboratoires de restauration du Musée McCord. La première, après plus de 20 ans à la direction du service de la restauration, quitte son poste pour se consacrer à d’autres projets alors que la deuxième lui succède.

Je dépose mon magnétophone devant elles et je m’installe plus loin. L’entrevue n’est pas encore commencée que je remarque déjà la complicité entre les deux restauratrices. L’enthousiasme et la bonne humeur sont palpables dans la pièce illuminée par un soleil de début d’après-midi.

Un des laboratoires de restauration du Musée McCord. Roger Aziz © Musée McCord, 2021

Anne : Je m’appelle Anne MacKay, et je suis entrée au Musée McCord comme chef de la restauration en 1997. Je travaille avec une équipe de cinq personnes et nous sommes responsables du soin physique et du traitement de tous les objets des collections, et de la recherche sur ces artefacts.

Caterina : Je m’appelle Caterina Florio, et je travaille au Musée McCord depuis quatre jours! Avant, j’étais la restauratrice des textiles au Musée canadien de l’histoire à Gatineau, et j’ai déjà possédé une petite entreprise privée en restauration de textiles à Toronto.

Quelles étaient vos ambitions lorsque vous êtes entrées au Musée et comment ont-elles évolué?

Anne : C’est une question intéressante, car je pense que mes ambitions ont évolué avec le temps. Mais je me suis fixé un objectif très précis au Musée, celui de sortir la restauration des coulisses pour la mettre davantage à l’avant-plan.

De toute évidence, les institutions créent des divisions pour définir le travail des gens, mais je trouve que la restauration est parfois trop catégorisée comme une activité technique, technologique ou scientifique qui se déroule en arrière-plan. Bien sûr, il faut posséder une certaine habileté technique et une certaine formation scientifique. Mais les restaurateurs ont en général une connaissance beaucoup plus vaste de leur domaine et ont développé une plus grande expertise grâce à une formation ou à des études antérieures. Mon but a donc été de faire une plus grande place à la restauration dans les processus muséaux et de donner aux restaurateurs la liberté d’explorer leur domaine au-delà du regard traditionnel que nous portons sur la restauration.

Pensez-vous avoir réussi?

Anne : Je crois que oui et je crois qu’on m’a donné les moyens de réussir. Ces processus sont très lents parce que le Musée lui-même évolue. Il a beaucoup changé depuis que j’ai commencé à y travailler. Il est maintenant beaucoup plus conscient de ses responsabilités sociales. La restauration, traditionnellement considérée comme un champ de pratique très restreint, s’est également ouverte en réaction au récent changement social et à nos réalités politiques et sociales actuelles. J’approuve à 100 %. Nous sortons de plus en plus de l’ombre et participons plus activement à des enjeux plus vastes au Musée.

Caterina, quelles sont vos ambitions et vos plus grands défis en tant que nouvelle chef de la restauration au Musée McCord?

Caterina : Je tiens d’abord à mentionner que j’ai une très grande pointure à chausser. Anne est très respectée dans le milieu pour le travail qu’elle a fait au Musée McCord. Après toutes ces années, je connais très bien le domaine, mais ce poste pose un regard quelque peu différent sur la restauration.

Tout comme Anne, je crois fermement que la restauration offre de grandes possibilités de tisser des liens, surtout à notre époque, où les enjeux sociaux sont diversifiés et complexes. Je crois que la restauration peut apporter un point de vue créatif et peut-être différent dans le dialogue entourant les questions sociales. Grâce à notre expertise sur la matérialité des objets, nous pouvons jeter des ponts au-delà des murs du laboratoire.

Lorsque j’étais au Musée canadien de l’histoire, j’ai profité de mon rôle pour créer des relations, que ce soit au sein même de l’institution, avec les communautés d’origine des artefacts ou avec mes collègues à l’extérieur du Musée, et c’était l’un des aspects les plus intéressants de mon travail. Certains sujets sont parfois délicats ou difficiles à aborder. Mais la restauration peut susciter un dialogue fructueux.

Avec le poste que j’occupe ici, au Musée McCord, j’espère être en mesure de poursuivre dans cette voie. L’avenir nous dira si j’y parviendrai!

Anne, qu’est-ce qui vous attend maintenant?

Anne : Un tas de choses! Ce qui m’emballe le plus, c’est de pouvoir me concentrer davantage sur des projets de recherche que j’ai entrepris au Musée, dont certains sont en cours depuis des décennies. Il y a parfois des périodes si chargées qu’il faut mettre quelque chose de côté pendant six mois avant de pouvoir y revenir. Il y a donc des projets que j’ai commencés sans pouvoir les terminer, comme une recherche sur des cotons européens imprimés utilisés dans la fabrication d’objets autochtones ou une analyse du vocabulaire de la restauration. Le Musée est d’avis que ce serait une bonne chose que je poursuive mes recherches, et a très gentiment accepté de mettre des ressources à ma disposition.

Caterina, vous avez travaillé à Toronto et à Gatineau, alors, vous ne connaissez pas Montréal?

Caterina : Non, je ne connais absolument pas la ville! Il y a beaucoup de choses qui me stimulent, pas seulement mon nouveau travail, mais aussi une nouvelle ville à découvrir. Et j’ai hâte d’apprendre à mieux la connaître. Jusqu’ici, Montréal m’apparaît comme une ville très diversifiée, où vivent des gens de toutes les origines parlant différentes langues. C’est très énergisant! Étant moi-même une immigrante, je me sens tout à fait à ma place.

Comment la profession a-t-elle évolué durant les décennies où vous avez travaillé comme chef de la restauration?

Anne : Pour ma part, le défi le plus pressant est le soin de nos collections dans un contexte où elles sont de plus en plus sollicitées. Il est primordial que le public ait accès aux collections. Les expositions muséales et les prêts représentent d’excellents moyens d’attirer le public. Le défi est d’atteindre un équilibre entre l’accès aux collections et leur préservation. Essentiellement, nous devons acquérir des objets pour nos collections tout en reconnaissant l’importance du soin à leur apporter, et il nous faut tenir compte de l’ampleur de nos collections par rapport à la taille de nos réserves et à la capacité de notre personnel. Nous ne voulons pas garder les portes du Musée ni en limiter l’accès, mais d’un autre côté, nous devons agir en étant fidèles à nous-mêmes, en tant qu’institution ayant une responsabilité à long terme envers les objets de ses collections.

Caterina : Je n’ai pas grand-chose à ajouter à cela. La société change, tout comme l’utilisation des collections dans les musées. Je crois que cela rejoint le commentaire d’Anne.

Anne : Nous sommes tellement branchés sur l’univers numérique qu’une visite dans un musée pour voir de vrais objets prend de plus en plus d’importance pour beaucoup de gens. Bien sûr, on peut aller en ligne et voir des images de toutes sortes de choses, mais le fait de venir dans un musée pour observer l’objet lui-même, de le voir contextualisé dans une exposition et de comprendre un peu plus son histoire est une activité très enrichissante pour les gens.

Anne MacKay et Caterina Florio dans un des laboratoires de restauration du Musée McCord. Marilyn Aitken © Musée McCord, 2021

Quel est l’aspect de la restauration que vous aimez le plus?

Caterina : Ce que j’aime avant tout de la restauration, c’est qu’elle fait appel à la curiosité intellectuelle et au travail manuel. Après toutes ces années, c’est un domaine qui me passionne encore et qui se renouvelle sans cesse. Le meilleur emploi au monde!

Avez-vous quelque chose à ajouter?

Anne : Lorsque j’ai commencé ma carrière en restauration, jamais je n’aurais imaginé où cela me mènerait – là où je suis maintenant. Aujourd’hui, l’heure de la retraite a sonné et lorsque je jette un regard sur le chemin que j’ai parcouru, je peux dire qu’il y a eu plusieurs détours inattendus. J’ai réalisé que la façon dont on utilise le bagage que l’on acquiert au départ est quelque chose de très personnel. Je suis tellement reconnaissante de tout ce que la restauration m’a apporté. Au départ, je n’avais aucune idée qu’elle me permettrait d’aller aussi loin dans mon cheminement professionnel.

Caterina : Écouter Anne parler est énergisant et stimulant. Je suis privilégiée d’avoir pu travailler à ses côtés pendant quelque temps, pour pouvoir m’en inspirer le plus possible.

À propos de l'auteur

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.
Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.