Le formidable défi de la fausse fourrure - Musée McCord Stewart
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Restauration d'un parka, ME966X.124.1 (détail) © Musée McCord

Le formidable défi de la fausse fourrure

Découvrez tout le processus et la minutie derrière la restauration de deux parkas de fourrure.

Sara Serban, restauratrice, Musée McCord

4 août 2020

L’imitation d’un matériau ou le remplacement de la partie manquante d’un objet font partie des défis amusants à relever dans le travail de restauration. Nous devons alors faire appel à notre créativité et à notre imagination, car, la plupart du temps, nous devons essayer de reproduire l’élément manquant à partir des différents matériaux de l’original. On peut avoir à imiter, par exemple, des boutons manquants, des éléments sculpturaux comme des doigts ou des orteils, les anses ou les poignées d’un objet, ou encore à combler les trous ou les manques d’un panier en vannerie, d’un rembourrage en cuir, d’articles en verre, en céramique ou en bois. C’est comme pour les tours de magie : quand notre travail est bien fait, on ne voit rien… sauf si on observe de très près.

Lors de travaux de restauration récents, j’ai eu à utiliser différentes approches pour imiter la fourrure de caribou. Les deux objets – des parkas de fourrure de jeunes filles –, tout en étant très différents l’un de l’autre, étaient tous deux fabriqués à partir de peaux de caribou. Et les deux comportaient des trous à combler.

Image de gauche: Parka de jeune fille, Inuinnaq, Kilusiktormiut, 1900-1930. ME966X.124.1 © Musée McCord
Image de droite: Parka de jeune fille, Inuinnaq, 1900-1930. ME983X.71.1 © Musée McCord

Un aspect important de la fabrication de ces objets magnifiques est qu’ils sont taillés dans un choix de peaux venant de parties bien précises de l’animal. En effet, les artisanes ont recours à différentes méthodes pour représenter symboliquement le lien entre les animaux et les humains. Ainsi, les capuchons de ces deux parkas comprennent la tête, le nez et les oreilles du caribou. Lorsque la jeune fille le porte, elle revêt la forme de l’animal, ce qui est le signe de son lien avec le caribou. Le premier parka (ME966X.124.1) comporte un amaut, une petite poche dorsale, une allusion à la poche des parkas des femmes adultes qui sert à transporter les bébés. On remarque que deux amulettes sont suspendues au centre du dos : elles représentent la vitesse et l’endurance, deux qualités qu’elles confèrent à celle qui porte le vêtement (Hall, 120).

Les manches du deuxième parka (ME983X.71.1) comprennent des bandes de fourrure blanche à l’avant-bras, ce qui suggère la force requise pour préparer et coudre les peaux. Elles symbolisent le rôle des femmes dans le processus de transformation de la peau de l’animal en vêtement (Issenman, 181-182).

Le premier parka comportait une longue déchirure à l’épaule dont les bords, avec le temps, s’étaient déformés et avaient durci, ce qui empêchait de les rapprocher pour refermer l’ouverture.

La déchirure à l’épaule, ME966X.124.1 (détail) © Musée McCord

Le remodelage de l’épaule par humidification locale et la réparation de la déchirure ont laissé un vide où il manquait de la fourrure.

La réparation de la déchirure laisse voir la fourrure manquante, ME966X.124.1 (détail) © Musée McCord

La fourrure à cet endroit était épaisse, avec des fibres courtes et irrégulières. Afin de créer une imitation convaincante de la texture tridimensionnelle et de l’apparence de la fourrure, j’ai eu recours à un type de papier de soie japonais fait à la main qui est fabriqué à partir de longues fibres végétales qui lui donnent une certaine solidité.

Pour créer une imitation de fourrure en trois dimensions, on commence par diviser un morceau de ce papier en bandelettes uniformes. Pour ce faire, on dessine d’abord des lignes sur le papier avec un pinceau trempé dans de l’eau, puis on déchire le papier le long de ces lignes. On obtient alors des bandelettes dont les bords déchiquetés laissent voir les fibres du papier, qui ont l’air de plumes ou de longs poils.

Les bandes de papier japonais avec leurs bords déchiquetés © Musée McCord

Chaque bande de papier est ensuite pliée en deux, dans le sens de la longueur, puis collée délicatement sur un support papier couvert d’une couche d’adhésif; seul le pli de la bandelette touche le support.

Les bandes de papier pliées et le support papier © Musée McCord
Bandelettes donnant une texture qui offre l’aspect de la fourrure © Musée McCord

En ajoutant ainsi graduellement d’autres bandelettes pliées, on obtient une texture qui offre l’aspect de la fourrure. 

On teint ensuite cette fourrure de papier pour qu’elle se fonde à la vraie, puis on colle en place pour terminer le tout.

La fourrure de papier teinte et mise en place, ME966X.124.1 (détail) © Musée McCord

Dans le cas du deuxième parka, on se rend compte que les trous étaient situés dans des sections comportant des types de fourrure très différents.

Les trous à l’épaule et à la poitrine, ME983X.71.1 © Musée McCord

Alors que la fourrure de l’épaule est d’un brun foncé et d’une texture fine et fournie, celle sur l’avant du vêtement, tout en étant relativement fournie elle aussi, est beaucoup moins fine et beaucoup plus pâle.

Parka avant restauration, ME983X.71.1 (détail) © Musée McCord

La texture de ces deux pièces de fourrure est beaucoup plus régulière que celle du premier parka. Pour combler ces trous, j’ai utilisé des fibres de laine mérinos et des fils de soie écrue. Les fils de soie sont légèrement plus épais que les fibres de laine et ressemblent aux poils plus droits et plus grossiers de la fourrure de la section de la poitrine.

Pour l’épaule, j’ai teint des fibres de laine en différents tons de brun, puis j’ai combiné ces fibres de manière à imiter les tons changeants de la fourrure naturelle. Avec une aiguille de feutrage, j’ai ensuite fixé ce mélange de fibres de laine à une pièce de polyester non tissé. Pour la pièce de la poitrine, j’ai commencé par séparer des fils de soie écrue double épaisseur en brins individuels. À ces brins, j’ai ensuite ajouté des fibres de laine, encore ici pour imiter les tons changeants de la fourrure naturelle. J’ai employé la même technique de feutrage pour fixer les brins de soie et les fibres de laine sur une pièce de tissu synthétique.

La pièce en laine mérinos brun foncé et la pièce en soie et laine mérinos brun clair © Musée McCord

Pour créer des pièces de parfaites dimensions, j’ai fait des gabarits de chaque trou avec un morceau de Mylar – un film plastique transparent –, sur lequel j’ai tracé avec un marqueur la forme du trou ainsi que le sens des poils de la fourrure.

Gabarits de chaque trou sur Mylar © Musée McCord

J’ai d’abord renforcé la section trouée avec une doublure de papier japonais fixé avec un adhésif thermocollant. Les pièces ont ensuite été collées à la doublure de papier à l’aide d’une spatule chauffante.

Le parka après traitement, avec les pièces de fausse fourrure en place, ME983X.71.1 © Musée McCord

Bien que ces réparations aient surtout un rôle esthétique, car elles permettent de mieux lire les objets, elles sont aussi fonctionnelles. Dans le cas du parka déchiré à l’épaule, la pièce posée stabilise l’ouverture refermée. Dans le cas du second parka, la doublure et les pièces de fausse fourrure renforcent deux sections endommagées du vêtement. Cette stabilisation était importante, car les deux parkas devaient être présentés sur des mannequins lors d’une exposition. Or, la mise en place d’un vêtement sur un mannequin exige une certaine manipulation et, même si on fait preuve de la plus grande délicatesse, on risque toujours de provoquer des déchirures dans d’autres sections fragiles. Ces traitements ont donc renforcé l’intégrité des parkas tout en permettant de les présenter dans une exposition.

RÉFÉRENCES

  • Hall, Judy et al. (2001). « Following the traditions of our ancestors », dans Fascinating Challenges : Studying Material Culture with Dorothy Burnham, Hull, Musée canadien des civilisations, p. 120.
  • Issenman, Betty Kobayashi (1997). Sinews of Survival: The Living Legacy of Inuit Clothing, Vancouver, UBC Press, p. 181-182.

À propos de l'auteure

Sara Serban, restauratrice, Musée McCord

Sara Serban, restauratrice, Musée McCord

Par le biais de son travail au laboratoire de restauration, Sara adore étudier et explorer physiquement les matériaux et les histoires derrière les objets de nos collections. Elle possède une maîtrise en histoire de l’art de l’Université Concordia et en conservation-restauration de l’Université Queen’s.
Par le biais de son travail au laboratoire de restauration, Sara adore étudier et explorer physiquement les matériaux et les histoires derrière les objets de nos collections. Elle possède une maîtrise en histoire de l’art de l’Université Concordia et en conservation-restauration de l’Université Queen’s.