L’art de James Duncan sous la loupe - Musée McCord Stewart
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Œuvre avant et après le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart

L’art de James Duncan sous la loupe

Savoir conjuguer habiletés manuelles et connaissances scientifiques pour renforcer la stabilité matérielle et l’intégrité esthétique d’une œuvre.

Gabriela Rosas, auparavant restauratrice junior, Musée McCord Stewart

22 décembre 2023

L’artiste multidisciplinaire James Duncan (1806-1881), originaire de Coleraine dans le nord de l’Irlande , s’établit à Montréal en 1830. Par ses nombreuses aquarelles, gouaches et huiles, il représente les scènes de la vie quotidienne ainsi que les paysages de la ville et de ses environs.

L’exposition Montréal en devenir – Duncan, peintre du 19e siècle, présente une centaine de ses œuvres réalisées entre 1830 et 1880, dont de nombreuses aquarelles qui comptent parmi ses réalisations les plus grandioses. On trouve parmi celles-ci le paysage pittoresque de Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, datant de 1865. Cette grande peinture, comme toutes celles réalisées sur papier, est délicate et sujette à la détérioration. En prévision de l’exposition , le service de la Restauration du Musée McCord Stewart a donc décidé d’envoyer l’aquarelle à l’Institut canadien de conservation (ICC) pour qu’elle y reçoive un traitement de conservation-restauration au cours de l’automne 2018.

Condition

L’œuvre laissait voir diverses taches et décolorations d’intensités variables. Elle était présentée sur un support secondaire cartonné et acide, rendant ainsi fragile, instable et acide son support primaire, composé de papier chiffon vélin. Une décoloration jaunâtre et un assombrissement s’observaient sur la totalité de l’œuvre. De plus, une partie du ciel semblait avoir subi un dégât d’eau, formant une tache brun-orange sur une importante section de l’image et empêchant ainsi le public d’apprécier pleinement sa composition.

Ces problèmes ont non seulement contribué à la détérioration esthétique de l’œuvre, mais auraient pu, en l’absence d’une intervention, altérer davantage son état physique.

Œuvre avant le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart

Traitement

La mission des restauratrices et restaurateurs consiste à conjuguer leurs habiletés manuelles et leurs connaissances scientifiques pour renforcer la stabilité matérielle et l’intégrité esthétique d’une œuvre. Les interventions visent à ralentir la détérioration en employant des techniques et des matériaux dont l’effet est réversible.

Le but de ce traitement était donc de stabiliser l’œuvre et d’améliorer son état esthétique en prévision de l’exposition, mais aussi de restituer au mieux la représentation originale, tel que conçue par Duncan.

La première étape de cette restauration a été le retrait du support secondaire, un carton très acide. Ces supports cartonnés, très communs dans les aquarelles du 19e siècle, peuvent provoquer des taches ainsi que le jaunissement et la détérioration du support primaire en papier. La composition picturale a ensuite été nettoyée à sec pour éliminer la saleté accumulée de même qu’une partie du support friable ayant été ajouté pour tenter de masquer certaines taches.

Par la suite, des tests approfondis de la solubilité de l’œuvre ont été effectués pour déterminer si un traitement aqueux était envisageable, car l’eau est l’un des meilleurs solvants permettant d’éliminer les produits solubles à effet jaunissant et de réaliser les manipulations chimiques nécessaires pour réduire les taches.

Même s’il peut sembler risqué d’utiliser une solution à base d’eau pour traiter une aquarelle, une telle intervention était possible et sécuritaire grâce au liant à base de gomme arabique des pigments, devenu de plus en plus insoluble avec le temps. Comme l’effet du traitement peut varier selon les couleurs – par exemple, les couleurs non organiques à base de minéraux peuvent réagir différemment des colorants organiques à base de teinture –, l’équipe de restauration a testé l’effet des solvants sur chaque teinte pour bien connaître les matériaux et ainsi prévenir tout risque avant d’entreprendre le traitement.

Comme Duncan a employé une palette variée de couleurs, chacune d’entre elles a été soigneusement testée avec divers solvants afin de déterminer la sensibilité des pigments et la capacité de la substance à éliminer les taches.

Selon les résultats obtenus, un traitement à la gomme gellane a été retenu. Plutôt que d’appliquer l’eau sous forme liquide, un gel rigide, ressemblant à une couche de gelée dure permettant d’introduire l’eau lentement et de manière contrôlée a été utilisé. Lorsqu’elle est appliquée sur l’œuvre, cette substance permet d’optimiser les propriétés du lavage en éliminant les produits nuisibles solubles ou encore en gonflant exagérément le support de la peinture en contrôlant son degré d’humidité.

Après un lavage à la gomme gellane, la table à succion, un autre outil de restauration du papier, a été utilisée pour éliminer de manière précise et successive les importantes taches sur les portions du ciel de l’œuvre. Après le séchage final, les taches étaient à peine perceptibles, et les tonalités de la composition s’en retrouvaient éclaircies. L’élimination de la teinte jaunâtre a rétabli le ton de l’ensemble de la composition, qui affiche désormais les nuances automnales choisies par Duncan. Le bleu du ciel, maintenant dépourvu de taches, peut également être pleinement apprécié à nouveau.

Œuvre durant le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart
Œuvre durant le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart
Œuvre durant le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart
Œuvre durant le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart

Les légères décolorations d’aquarelle (qui avaient été recouvertes de couches de peinture) ont ensuite été repeintes afin d’harmoniser la composition. Le support primaire a été doublé avec du papier japonais pour solidifier sa structure, et fixé au dos de l’œuvre avec de la colle d’amidon de blé, un adhésif transparent, solide et souple. Celui-ci est couramment utilisé en restauration puisque son effet est réversible, qu’il n’est pas cassant et qu’il ne décolore pas avec le temps. Le papier japonais, une matière non acide aux longues fibres, a été choisi de manière à s’agencer à la couleur et à l’épaisseur de l’œuvre. Contrairement au carton rigide acide qui supportait auparavant l’œuvre, ces matériaux ne causeront pas de dommages à long terme. L’aquarelle a ensuite été encadrée avec des charnières en papier japonais fixées avec de la colle d’amidon de blé dans un passe-partout non acide.

Ce traitement, d’une durée de 16 mois, a été minutieusement réalisé par Crystal Maitland, restauratrice principale, œuvres d’art sur papier, à l’ICC.

Œuvre après le traitement © Gouvernement de Canada, Institut canadien de conservation James Duncan, Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu, vers 1865. Don d’Alan, John et Tom Law, M2004.29.1, Musée McCord Stewart

Préservation

Grâce au traitement reçu, l’œuvre Montréal depuis la montagne montrant l’Hôtel-Dieu présente maintenant une esthétique qui reflète l’intention originale de Duncan, permettant au public de mieux apprécier sa composition picturale. En combinant savoir scientifique et minutie manuelle, la restauratrice Crystal Maitland a ainsi pu rétablir la stabilité esthétique et matérielle de l’aquarelle.

La préservation d’une œuvre d’art ne se limite pas seulement à une intervention technique : elle tient compte de plusieurs aspects de la conservation préventive. Puisque les aquarelles sont très sensibles à la lumière, elles ne peuvent être exposées qu’à un faible taux de luminosité. Elles doivent en outre être exposées et entreposées dans un environnement dont la température et le taux d’humidité relative sont soigneusement contrôlés, ainsi qu’avec des matériaux d’encadrement et d’entreposage stables et non acides. Le contrôle de ces différents aspects assurera ainsi une meilleure conservation des œuvres d’art pendant de nombreuses années.

Montréal en devenir – Duncan, peintre du 19e siècle. Roger Aziz, © McCord Stewart Museum, 2023

À propos de l'autrice

Gabriela Rosas, auparavant restauratrice junior, Musée McCord Stewart

Gabriela Rosas, auparavant restauratrice junior, Musée McCord Stewart

Gabriela est archiviste, audiovisuel et photographie au Centre de recherche sur les francophonies canadiennes de l’Université d’Ottawa depuis l’été 2023. Après avoir accumulé 11 ans d’expérience en conservation préventive auprès de plusieurs musées montréalais, elle termine en 2021 une maîtrise en restauration d’œuvres d’art sur papier à l’Université Queen’s, à Kingston. Depuis, elle a travaillé pour le Musée McCord Stewart, le Musée des beaux-arts de Montréal, le Musée Pointe-à-Callière ainsi que pour des galeries et des collections privées.
Gabriela est archiviste, audiovisuel et photographie au Centre de recherche sur les francophonies canadiennes de l’Université d’Ottawa depuis l’été 2023. Après avoir accumulé 11 ans d’expérience en conservation préventive auprès de plusieurs musées montréalais, elle termine en 2021 une maîtrise en restauration d’œuvres d’art sur papier à l’Université Queen’s, à Kingston. Depuis, elle a travaillé pour le Musée McCord Stewart, le Musée des beaux-arts de Montréal, le Musée Pointe-à-Callière ainsi que pour des galeries et des collections privées.