Les hochets : petits bijoux sonores - Musée McCord Stewart
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Hochet, vers 1920-1929. Don de Caroll Guerin, M2006.34.9, Musée McCord Stewart

Les hochets : petits bijoux sonores

Découvrez un petit ensemble de jouets pour enfants qui surprennent par leur luxe!

Nouvellement grand-maman, je me suis longuement questionnée sur un jouet à offrir à ma petite-fille. Je voulais évidemment un objet qui saurait stimuler ses sens : la perception sonore, l’acuité visuelle, le goût et le toucher, de même que la motricité. Ironiquement, malgré l’industrie gigantesque du jouet et l’évolution tout aussi impressionnante de la technologie, le jouet qui répondait le mieux à mes critères est l’un des plus anciens au monde1. Je parle bien sûr du hochet, le jouet d’éveil par excellence.

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Jouet universel pour les enfants, le hochet a traversé les époques. Anciennement, on le retrouvait habituellement sous différentes formes simples, fabriqué dans des matériaux comme le bois, la terre cuite, la corne ou la courge. Cependant, il y a dans la collection du Musée McCord Stewart un petit ensemble de hochets surprenants par leur préciosité. De la Renaissance jusqu’à la fin du 19e siècle, dans la haute société européenne et plus tard dans celle de l’Amérique du Nord, les hochets deviennent des objets de luxe reflétant la richesse et le statut social de l’enfant et de sa famille.

UN HOCHET... POUR LA NOURRICE

Il existe deux types de hochets : ceux qu’on laissait directement entre les mains du petit, et ceux dont les nourrices se servaient pour le stimuler. Fabriqués sur commande par des artisans spécialisés, ces derniers sont de véritables petits joyaux d’orfèvrerie confectionnés dans des matériaux raffinés tels l’argent, le corail, la nacre et l’ivoire.

Ainsi, les deux hochets les plus anciens de la collection semblent plus destinés à être regardés que manipulés. Sortes de mobiles sonores, ils étaient suspendus au cou ou à la ceinture de la mère ou de la nourrice qui distrayait l’enfant en agitant les clochettes.

À gauche : Hochet, vers 1575-1600. Collection de la Société Historique du Lac Saint-Louis, 1970.100.48, Musée McCord Stewart
À droite : Hochet, 16e siècle. Collection de la Société Historique du Lac Saint-Louis, 1979.52.2, Musée McCord Stewart

La figure du lion, noble félin symbole de la royauté, domine le décor. On le voit couronné, dressé debout dans un cas, et sur ses quatre pattes, sa queue se terminant en fleur de lis, dans l’autre. Le gros gland au-dessus de la tête du lion du deuxième hochet représente le chêne, arbre incarnant la force et la longévité.

À gauche : Hochet, vers 1575-1600. Collection de la Société Historique du Lac Saint-Louis, 1970.100.48, Musée McCord Stewart
À droite : Hochet, 16e siècle. Collection de la Société Historique du Lac Saint-Louis, 1979.52.2, Musée McCord Stewart

Si l’on ne connaît pas les propriétaires d’origine de ces hochets, leur fonction est claire. Outre les clochettes, ils sont dotés de sifflets dans lesquels la nourrice pouvait souffler pour capter l’attention de l’enfant. Le son était également réputé chasser les mauvais esprits. Le sifflet prend la forme d’un clairon en dessous des singes dans le cas du premier hochet et représente le museau du lion dans l’autre.

De forme plus reconnaissable2, mais tout aussi précieux, les deux hochets du 17e siècle sont en argent repoussé à motifs floraux et sont munis de manches en nacre ou en ivoire que l’enfant pouvait manier et plus tard mâchouiller pour soulager ses percées de dents. Des grelots et des sifflets composent les éléments sonores, les sifflets se trouvant à l’extrémité opposée du manche.

Hochet, vers 1675-1700. Collection de la Société Historique du Lac Saint-Louis, 1970.100.46, Musée McCord Stewart
Hochet, vers 1675-1700. Collection de la Société Historique du Lac Saint-Louis, 1970.100.47, Musée McCord Stewart

Une photo du studio Laprés & Lavergne de Montréal dans la collection Photographie témoigne de l’utilisation de ce type de hochet jusqu’au 20e siècle. On en voit un exemple suspendu à un ruban fixé à la robe de l’enfant à l’aide d’une épingle de sûreté.

TRÉSOR FAMILIAL DEVENU TRÉSOR MUSÉAL

Le plus spectaculaire des hochets de la collection est constitué d’un imposant noyau en argent repoussé à décor de fleurs3, agrémenté de quatre grelots et d’un manche en corail rouge écarlate que l’enfant pouvait mordiller pour soulager les douleurs liées aux poussées dentaires. En plus de ses propriétés physiques bénéfiques, on attribuait au corail une fonction magique et prophylactique, censée protéger le bébé contre les maladies et les maléfices.

Le sifflet, situé ici encore à l’extrémité opposée du manche, est gravé d’une inscription : « Margaret Cassils de son oncle Charles4 ». Des recherches généalogiques ont permis d’en savoir plus sur son ancienne propriétaire, Margaret Cassils, née à Denny en Écosse en 1830. Fille de John Cassils et Margaret Murray, elle épouse en 1854 Jonathan Hodgson (1827-1914), cofondateur de l’entreprise Hodgson, Summer and Co. spécialisée dans l’importation de tissus et d’articles de mercerie située sur la rue Saint-Paul à Montréal. Margaret Cassils aura six enfants. Elle meurt en 1928.

Ce jouet de luxe sera gardé précieusement par les enfants, petits-enfants, et arrière-petits-enfants de Margaret, pour aboutir finalement au Musée McCord Stewart 175 ans après sa naissance. Trésor familial aujourd’hui devenu trésor muséal, il témoigne de manière éloquente non seulement du statut de cette famille, mais aussi des relations entre les générations en évoquant l’attachement familial.

Hochet, vers 1875-1925. Don de Mme T. Palmer Howard, M2005.127.15, Musée McCord Stewart
Hochet, vers 1920-1929. Don de Caroll Guerin, M2006.34.9, Musée McCord Stewart

Popularisés à la fin du 19e siècle et au début du 20e, les hochets-anneaux de dentition sont plus faciles à manipuler pour le bébé. Ils se composent généralement d’un anneau en nacre et de grelots en argent. Datant du début du 20e siècle, l’un des deux hochets illustrés est en forme de cœur et est garni de grelots ornés de chérubins – petits anges protecteurs – dansant la ronde.

JOUET DE LUXE CRITIQUÉ

Offrir des objets de luxe à la naissance ou au baptême d’un enfant est une pratique très ancienne. Elle inscrivait l’enfant dès son plus jeune âge dans la hiérarchie sociale, affirmant le statut de sa famille. Cette pratique ne faisait pourtant pas l’unanimité. Déjà au 18e siècle, elle était décriée par l’écrivain et philosophe Jean-Jacques Rousseau qui écrit dans Émile ou De l’éducation (1762) :

On ne sait plus être simple de rien, pas même autour des enfants. Des grelots d’argent et d’or, du corail, des cristaux à facettes, des hochets à tout prix et de toute espèce : que d’apprêts inutiles et pernicieux! Rien de tout cela; point de grelots, point de hochets; de petites branches d’arbre avec leurs fruits et leurs feuilles, une tête de pavot dans laquelle on entend sonner les graines, un bâton de réglisse que l’enfant peut sucer et mâcher, l’amuseront autant que ces magnifiques colifichets, et n’auront pas l’inconvénient de l’accoutumer au luxe dès sa naissance5.

Cette réflexion demeure un sujet d’actualité alors que l’on observe un investissement de plus en plus important des grandes marques de luxe dans l’univers de l’enfant.

Aujourd’hui, il est plutôt rare qu’on offre un hochet en argent comme cadeau de naissance6. Néanmoins, ce jouet demeure sous toutes ses formes un grand intemporel – le jeu d’éveil par excellence encore adoré par bien des poupons, dont ma petite-fille.

BIBLIOGRAPHIE

D’Allemagne, Henry-René. Histoire des jouets, Paris, Librairie Hachette & Cie., 1902, p. 21-27 https://ia800402.us.archive.org/19/items/histoiredesjouet00alle/histoiredesjouet00alle.pdf (Consulté le 3 février 2023)

Richelet, P. Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise…, Genève, Chez Jean Herman Widerhold. 1688, p. 361

Rousseau, Jean-Jacques. Émile ou De l’éducation, dans Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1971 (1re éd. 1762), t. III., p.48

Vandroux, Karine. « Le hochet dans l’histoire », Siprale, vol. 4, n24, 2002, p. 113-123. https://www.cairn.info/revue-spirale-2002-4-page-113.htm (Consulté le 2023-02-28)

NOTES

1. Le plus ancien hochet à ce jour a été découvert à Yeşilova, dans la province d’Aksaray, en Turquie. Il daterait de 4 200 ans.

2. Dans le premier dictionnaire de la langue française de Richelet, le hochet est décrit de la manière suivante : Le hochet est d’ordinaire un morceau d’argent gros comme le petit doigt, & deux fois aussi grand, au bout duquel on enchasse une dent d’ivoire ou de verre, qu’on garnit de trois ou quatre petites sonnettes & qu’on pend au cou d’un enfant en maillot pour le divertir et l’amuser. P. Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise…, Genève, Chez Jean Herman Widerhold, 1688.

3. Le hochet porte le poinçon du maître orfèvre possiblement écossais H & H, mais aucune autre marque.

4. Traduction de l’inscription originale en anglais : «  Margt Cassils from her Uncle Charles »

5. Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation, dans Œuvres complètes, t. III. Paris, Seuil, 1971  (1re éd. 1762), p. 48

6. La timbale, le coquetier, l’anneau de serviette et les couverts en argent sont encore privilégiés comme cadeaux de baptême ou de naissance.