Le chantier comme projet de design - Musée McCord Stewart
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Photographe inconnu, Canadian Arena (le Forum), rue Sainte-Catherine, Montréal, 1924. Don de Charles S. Deakin, MP-1977.140.18.2, Musée McCord Stewart

Le chantier comme projet de design

Réflexion autour de l’exposition Bâtir Montréal et l’intégration du design dans la conception et la réalisation de chantiers.

Patrick Marmen, chef d’équipe, Bureau du design, Ville de Montréal

31 août 2023

Côtoyer un chantier est une partie intégrante de l’expérience urbaine. Le chantier démontre la vitalité sociale et économique d’une ville, de même que sa capacité d’adaptation aux défis qu’elle rencontre. C’est, entre autres, ce que nous racontent les photographies de l’exposition Bâtir Montréal. On y voit autant le développement de la ville sur elle-même que l’insertion de nouvelles infrastructures au cœur du centre-ville et des quartiers centraux de la métropole.

L’avenue McGill College, qui accueille l’exposition, est le témoin éloquent de cette transformation urbaine perpétuelle. Alors que l’intégration du Réseau express métropolitain (REM) y génère actuellement un chantier d’ampleur, trois des photos de l’exposition illustrent les travaux menés près d’un siècle plus tôt pour la construction de la voie ferrée menant au tunnel sous la montagne.

Photographe inconnu, Nouveaux rails de tramway sur la rue Dorchester, vue vers l’est, Montréal, 1931. Don de J. Norman Lowe, MP-1999.6.49, Musée McCord Stewart
Photographe inconnu, Construction du pont de la rue Dorchester, vue en surplomb vers le sud-ouest, Montréal, 1931. Don de J. Norman Lowe, MP-1999.6.43, Musée McCord Stewart
Photographe inconnu, Démantèlement de l’église St. Paul, Montréal, 1930. Don de J. Norman Lowe, MP-1999.6.10, Musée McCord Stewart

L’implantation de ce chemin de fer avait exigé la création d’une tranchée qui divisait le centre-ville dans l’axe nord-sud ainsi que la construction d’un pont au niveau de la rue Dorchester (aujourd’hui le boulevard René-Lévesque). Elle avait également ouvert la voie à l’érection de l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth et de la Place Ville Marie à la fin des années 1950 et au début des années 1960, de même qu’à l’aménagement de l’avenue McGill College dans les années 1980 qui, depuis, offre l’une des vues sur le mont Royal les plus iconiques de Montréal. Ces multiples itérations de l’avenue McGill College illustrent bien le besoin continuel pour une ville de se renouveler.

Pourtant, malgré ce passage nécessaire du chantier, le milieu du design et de l’architecture s’est peu intéressé à ce moment intermédiaire du projet. Les images qui illustrent la proposition retenue dans le cadre d’un concours international de design urbain pour le réaménagement de l’avenue McGill College pressentent un espace public piétonnier et verdoyant. Néanmoins, entre le début des travaux qui y sont actuellement effectués et l’inauguration de la nouvelle place publique, il y a aura près de 10 ans qui se seront écoulés. Une décennie qui aura marqué l’imaginaire des personnes qui visitent, travaillent, étudient ou résident dans ce secteur.

En 2014, le Bureau du design de la Ville de Montréal, en collaboration avec le Service de l’expérience citoyenne et des communications et le Service des infrastructures et du réseau routier, lançait une réflexion sur le chantier comme défi en matière de design dans un objectif d’amélioration du cadre de vie des citoyens et citoyennes qui côtoient les grands sites de construction urbains au quotidien. Le chantier peut-il être, lui aussi, un moment porteur d’une réflexion en design? Comment s’assurer que l’expérience quotidienne des personnes qui vivent à proximité demeure sécuritaire, accessible, confortable et attrayante?

Les photographies de l’exposition Bâtir Montréal documentent la progression historique des actions de mitigation des répercussions des chantiers urbains. Une photographie de 1893 prise à l’intersection de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent nous montre des trottoirs complètement ouverts sur le chantier d’aménagement d’un passage à niveau du tramway, des piétons marchant librement dans la zone de construction.

Wm. Notman & Son, Passage à niveau de tramway en construction, rue Sainte-Catherine et boulevard Saint-Laurent, Montréal, 1893. II-102021, Musée McCord Stewart

Quelque 30 ans plus tard, la photographie illustrant les travaux de construction du Canadian Arena (le Forum) ne suggère guère davantage de mesures de protection des piétons sur les trottoirs limitrophes.

Photographe inconnu, Canadian Arena (le Forum), rue Sainte-Catherine, Montréal, 1924. Don de Charles S. Deakin, MP-1977.140.18.2, Musée McCord Stewart

Ce n’est que dans les photographies datant des années 1980 que l’on peut voir des palissades refermant et sécurisant les abords de chantiers, voire des signes d’interventions graphiques ou artistiques destinés à les embellir, comme dans la photographie montrant la construction du Complexe Guy-Favreau. Néanmoins, la prise en considération du chantier comme occasion de design n’en était toujours qu’à ses balbutiements.

Brian Merrett, Complexe Guy-Favreau en construction, vue depuis la rue De La Gauchetière, Montréal, 1982. Don de Sauvons Montréal, MP-1983.27.1.33, Musée McCord Stewart

L’appel international à des pratiques exemplaires lancé dans le cadre de la préparation du colloque Quel chantier! Le design au secours des grands chantiers urbains ouvrait la voie à de nouveaux horizons d’intervention. Les études de cas provenant d’Amérique du Nord et d’Europe soulignaient que le chantier est un moment unique de médiation entre les porteurs de grands projets urbains et la population. Les abords des sites de construction et les palissades offrent des occasions d’informer la population sur les objectifs d’un projet et d’en améliorer l’acceptabilité. De plus, le caractère temporaire des structures de chantier permet d’expérimenter de nouveaux usages pour le futur équipement, de même que d’exprimer une identité urbaine distinctive et unique qui anime momentanément l’espace public.

Sur l’inspiration de ces exemples internationaux, un processus d’innovation par le design s’est mis en place et divers projets d’expérimentation ont été réalisés par la Ville de Montréal afin d’examiner les aménagements possibles aux abords de chantier et les contraintes dont il faut tenir compte. Menée en collaboration avec une variété de professionnels et professionnelles en design industriel, en design graphique, en architecture et en architecture de paysage, cette démarche de développement de produit a conduit à l’élaboration de la Boîte à outils pour mieux informer, délimiter et diriger sur un chantier. Celle-ci inclut notamment une stratégie d’habillage et de signalétique des chantiers municipaux et un module d’information de chantier. L’objectif de ces dispositifs est d’améliorer la qualité visuelle et fonctionnelle des aménagements aux abords des chantiers urbains.

La mise en parallèle des photos de l’exposition Bâtir Montréal et des pratiques récentes en aménagement des abords de chantier révèle la prise de conscience du chantier comme un moment important qui doit être pris en considération dans la planification des projets. Loin de la mitigation des impacts des palissades et de leur embellissement, l’objectif fondamental d’une démarche de design de chantier est d’accorder une attention particulière aux citoyens et citoyennes qui « vivent » le chantier.

À propos de l'auteur

Patrick Marmen, chef d’équipe, Bureau du design, Ville de Montréal

Détenteur d’un baccalauréat et d’une maîtrise en architecture de l’Université Laval, Patrick s’intéresse au développement des mécanismes qui favorisent et encadrent la qualité des projets d’aménagement publics et privés ainsi qu’aux approches d’aménagement culturel du territoire. Après avoir travaillé à la réalisation de plusieurs études de caractérisation urbaine et paysagère, il a coordonné la mise en œuvre de concours, dont celui de l’avenue McGill College, ainsi que de panels et d’ateliers de design. Avant de se joindre au Bureau du design à l’automne 2020, il a été président du Comité Jacques-Viger de la Ville de Montréal.
Détenteur d’un baccalauréat et d’une maîtrise en architecture de l’Université Laval, Patrick s’intéresse au développement des mécanismes qui favorisent et encadrent la qualité des projets d’aménagement publics et privés ainsi qu’aux approches d’aménagement culturel du territoire. Après avoir travaillé à la réalisation de plusieurs études de caractérisation urbaine et paysagère, il a coordonné la mise en œuvre de concours, dont celui de l’avenue McGill College, ainsi que de panels et d’ateliers de design. Avant de se joindre au Bureau du design à l’automne 2020, il a été président du Comité Jacques-Viger de la Ville de Montréal.