Bals costumés dans les collections du Musée
Le Musée McCord Stewart conserve une multitude de souvenirs de bals costumés. Pourquoi ont-ils été conservés pendant des générations?
22 novembre 2024
Rassemblées au cours du dernier siècle, les vastes collections du Musée McCord Stewart constituent un extraordinaire trésor de culture visuelle, matérielle et imprimée. Un grand nombre de ces photographies, vêtements, souvenirs et documents d’archives (dont certains éphémères) témoignent des somptueux bals costumés et carnavals de patinage organisés dans le dernier tiers du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
Si l’abondance de cette documentation démontre à elle seule l’impact considérable de ces événements sur la vie des gens, leur exubérance joyeuse présente un surprenant contraste avec les autres vestiges de la même époque. Les efforts déployés pour immortaliser ces fêtes costumées contredisent leur nature apparemment éphémère. Pourquoi investir tant d’énergie dans une transformation de soi occasionnelle?
Les débuts
J’ai entrepris mes recherches sur les bals costumés bien avant ma nomination au poste de conservatrice, Costume et textiles au Musée McCord Stewart en 1998. Le sujet de mon mémoire de maîtrise est né de ma fascination pour ce petit volume édité en 1887, Fancy Dresses Described; or, What to Wear at Fancy Balls, destiné à suggérer des idées de personnages et de tenues pour les bals.
Mon étude a porté plus particulièrement sur quatre soirées prestigieuses, organisées en 1876, 1896, 1897 et 1898, qui ont réuni l’élite canadienne d’Ottawa, de Toronto et de Montréal. Les gouverneurs généraux qui se sont succédé étaient au cœur de ces soirées (soit à titre d’hôtes, soit à titre d’invités spéciaux) qui avaient chacune un objectif politique distinct.
Ces bals ont été immortalisés dans des photographies composites de grand format ou prises au flash, des albums photo et des livres-souvenirs avec photos de groupe ou illustrations d’artistes. En outre, tous ces bals ont fait l’objet d’une large couverture dans les pages mondaines, bien au-delà des villes ou ils se sont déroulés. J’ai eu accès à une abondance de sources primaires pour reconstituer ces réceptions grandioses et mémorables.
Carnaval de patinage de 1870
Mes recherches m’ont bien sur amenée au Musée McCord Stewart, ou l’immense photographie peinte du carnaval de patinage de 1870 – l’une de nos pièces les plus exposées et les plus publiées – est sans doute l’exemple le plus flamboyant de commémoration de ce genre de divertissement au Canada.
Cependant, les négatifs à partir desquels 150 portraits individuels ont été tirés, découpés et collés pour créer cette photographie composite ne sont qu’une infime partie des photos d’invités déguisés pour des événements festifs provenant de la collection du Musée McCord Stewart.
Le studio William Notman de Montréal possédait une multitude d’albums de petites épreuves qu’il utilisait comme index chronologiques de ses négatifs sur verre. On y trouve des groupes de photographies représentant des personnes en costumes fantaisistes, toutes prises au cours de la même journée ou de la même semaine, qui permettent de situer les événements marquants dans les agendas mondains de l’année, parfois de la décennie, et de toute une génération.
Se pouvait-il que certains de ces ensembles de bal costumés existent encore?
L’abondance des sources visuelles et textuelles m’a donné envie d’étudier ces costumes dans la culture matérielle. Se pouvait-il que certains de ces ensembles de bal costumés existent encore? Au départ, des recherches approfondies dans les musées et les collections privées n’ont donné que peu de résultats. La survie d’un article vestimentaire durant un siècle, et même plus, est toujours le fruit d’un heureux hasard qui défie toute probabilité, et les costumes qui nous sont parvenus sont le plus souvent ceux que leurs propriétaires d’origine affectionnaient spécialement ou considéraient comme des biens précieux.
Cette rareté des vêtements historiques est aggravée par le fait que les costumes de bal étaient absents du mandat de collectionnement de la plupart des musées, incluant McCord Stewart à l’époque. Lorsque j’en ai trouvé dans les collections, ils étaient souvent répertoriés sous une autre appellation. Certains propriétaires les avaient rangés dans des malles parce qu’ils y étaient attachés ou espéraient les porter encore, mais le plus souvent, ces vêtements avaient été mal identifiés par les gens qui en avaient hérité.
Après quelques découvertes fortuites, j’ai affiné mon approche en cherchant des vêtements qui se distinguaient par leur style inhabituel ou leur origine incongrue. Grâce à mon corpus de plus de mille images des quatre bals cités plus haut, j’ai été en mesure, à plusieurs reprises, de déterminer qui les avait portés et lors de quel événement.
À ma grande surprise, la source d’objets historiques ayant un lien avec la vogue des bals costumés ne s’est pas tarie. Des enquêtes menées auprès de descendants de participants à ces soirées ont permis de découvrir encore plus d’archives visuelles et de vêtements, ce qui témoigne de la valeur accordée à ces souvenirs.
L’analyse approfondie d’autres costumes de provenance inconnue a révélé des indices grâce auxquels j’ai déduit qu’ils avaient été portés à l’un de ces bals et, dans certains cas, qu’ils avaient été photographiés à cette occasion. Ainsi, il est maintenant clair que le phénomène des bals costumés s’est poursuivi durant les premières décennies du XXe siècle.
Des pièces du casse-tête continuent de surgir!
L’exposition Bals costumés – Habiller l’histoire, 1870-1927 traite notamment pour la première fois d’un grand bal historique organisé en 1927 qui a été qualifié d’événement mondain de son époque. L’examen minutieux des photographies m’a permis de découvrir d’autres accessoires qui avaient servi pour des déguisements, entre autres des portraits miniatures et des objets autochtones qui y avaient été intégrés.
La relecture des chroniques mondaines portant sur ces bals a révélé plus de cas ou des participants ont utilisé des vêtements du patrimoine familial pour se costumer, vêtements que nous avons repérés dans nos collections et dont nous ignorions qu’ils avaient été utilisés à cette fin.
Des donateurs nous ont offert des trésors inattendus, notamment un deuxième tableau, représentant le carnaval de patinage de 1870 mentionné précédemment, et une partition de musique des années 1890 que l’on jouait pour enseigner des danses historiques aux invités. Des pièces du casse-tête continuent de surgir, compliquant et enrichissant à la fois un champ d’investigation toujours plus vaste, et justifiant la nécessité d’y accorder plus d’attention.
Costumes et images interconnectés
L’exposition vise entre autres à faire la lumière sur les raisons pour lesquelles ces nombreux costumes et accessoires ont pu survivre, de même que leurs représentations visuelles, tout en explicitant leurs interconnexions, aussi improbables qu’importantes.
Fruit de la collaboration de plusieurs collègues du Musée, l’exposition est le résultat de l’éventail de nos domaines d’expertise. Notre approche transdisciplinaire à ces archives historiques façonne notre compréhension de nos collections et des concepts avec lesquels nous travaillons le plus étroitement. Notre perspective s’est élargie par la juxtaposition d’objets anciens et d’images d’archives en démontrant comment les uns servent à comprendre les autres.
En mettant en valeur l’héritage visuel et matériel des bals costumés, nous souhaitons démontrer qu’il n’est pas seulement la preuve de l’engagement sincère des participants dans ces activités, mais un élément intrinsèque de ces expériences.