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William Notman, William Notman, Montréal, 1868. Musée McCord Stewart, I-30283

Notman, photographe visionnaire

Notman était un entrepreneur visionnaire qui a vu l’immense potentiel de la photographie et qui a cherché à en exploiter les différentes dimensions.

Hélène Samson, Ph. D., conservatrice associée, Photographie, Musée McCord Stewart

7 mai 2025

La vie de William Notman (1826-1891) au Canada est marquée du sceau de la confiance en l’avenir, à commencer par le choix de se lancer en photographie dès son arrivée à Montréal en 1856. Cette décision requiert de l’audace, car à cette date, la photographie est encore une technologie en mutation qui s’adresse à un marché naissant. Néanmoins, Notman entrevoit le potentiel de ce nouveau médium, prometteur à la fois dans les domaines de la création artistique, de la communication et du commerce. Plusieurs aspects de son entreprise préfigurent les idées et les usages de la photographie au vingtième siècle.

Identités individuelles et collectives

Dès la première décennie suivant la fondation de son studio, Notman met de l’avant une conception artistique de la photographie, non seulement en faisant appel à des artistes comme collaborateurs, mais en exposant ensemble au studio des peintures et des photographies.

Henry Sandham, Intérieur du studio Notman, Montréal, photolithographie, publiée dans Canadian Illustrated News Portfolio & Dominion Guide, 1872. Musée McCord Stewart, N-0000.2120.7

Il saisit d’emblée que le portrait photographique en tant que représentation de soi est appelé à devenir un puissant outil de formation des identités individuelles et collectives. Diffuser la photographie devient très tôt un objectif qu’il concrétise par des publications et par le développement des procédés d’impression photomécaniques.

Notman, homme d’affaires

Homme de réseau, Notman crée des partenariats qui seront favorables à l’expansion géographique de son entreprise et à l’essor de cultures visuelles, notamment dans le nouveau domaine du tourisme. L’image que l’on se fait de la société canadienne et du territoire au dix-neuvième siècle est en grande partie celle que Notman a constituée avec la collaboration de plus de 50 photographes sous sa direction.

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Par une gestion moderne de son studio de Montréal, comprenant l’organisation rationnelle du travail et l’archivage de la production, Notman a créé une marque, devenue symbole d’excellence au-delà de sa propre existence.

La prescience de ses réalisations fait de lui un visionnaire. Cela dit, il lui fallait des qualités foncières communes aux individus qui marquent leur époque et leur domaine, c’est-à-dire une intelligence doublée d’un esprit imaginatif ainsi qu’une attention au monde qui se traduisait chez lui par une grande sociabilité.

Montréal, un terreau fertile

Une telle personnalité a trouvé dans Montréal un terreau fertile. En 1856, la ville est en plein boum économique et démographique. C’est une véritable métropole où sont réunies les conditions favorables à l’épanouissement du commerce et de la finance, de même qu’à un développement industriel sans précédent.

La compagnie du chemin de fer du Grand Tronc, qui assure déjà le transport entre les villes du Canada-Est depuis 1850, a entrepris la construction du pont Victoria (1854-1859). Cette infrastructure est l’une des clés d’un commerce international, car elle relie efficacement Montréal au port de Portland (Maine) sur l’Atlantique durant l’hiver. Montréal jouit également d’un service de communication rapide avec des villes comme Detroit, Portland et Ottawa grâce à la Montreal Telegraph, une entreprise fondée en 1847.

Vers la fin des années 1840, la zone industrielle du canal de Lachine concentre la plus importante activité manufacturière de la colonie britannique d’Amérique du Nord, faisant de Montréal le pivot d’une croissance économique accélérée jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle. De plus, l’immense territoire de l’Ouest reste encore à explorer et à peupler dans un projet en germe, celui de la Confédération canadienne qui se réalisera en 1867.

Son réseau

Dans ce contexte colonial effervescent, favorable aux ressortissants des îles britanniques, William Notman multiplie les relations sociales dans les cercles les plus influents de Montréal. Son réseau se tisse en premier lieu dans la bourgeoisie et le milieu des affaires par l’intermédiaire de son logeur, Alexander Ramsay (1810?-1867), et de son employeur, Ogilvy, Lewis & Co.

Le premier est un prospère commerçant de matériaux de construction qui héberge Notman et son épouse, Alice Merry Woodwark (1832-1906), lorsque celle-ci rejoint son mari en novembre 1856. Les seconds, marchands de tissus et d’articles de mercerie, emploient William, probablement comme commis, dès son arrivée en août. Ils lui prêteront la somme d’argent nécessaire pour réaliser son projet d’ouvrir un studio de photographie durant l’hiver, tout en lui réservant son emploi en cas d’échec.

Notman s’insère aussi dans le milieu clérical. C’est d’ailleurs avec l’évêque de l’Église anglicane, Francis Fulford (1803-1868), qu’il s’engage dans la création de l’Art Association of Montreal, à l’origine du Musée des beaux-arts de Montréal, en 1860.

Son réseau s’étend jusqu’aux États-Unis par l’entremise de T. E. Anthony, réputé fournisseur d’équipement photographique à New York, auprès de qui Notman s’approvisionne au démarrage de son studio.

Cette sphère d’influence, lui attirant une clientèle sélecte, a sans doute permis à Notman de se démarquer dans le milieu de la photographie à Montréal. En 1859 et 1860, le commerce de la photographie compte au moins 17 photographes installés dans les environs de la place d’Armes au coeur de Montréal. En 1875 et 1876, années florissantes pour Notman, le nombre de photographes à Montréal a plus que doublé. Ils sont au moins 40, dont six ont appris leur métier chez Notman. En 1891, à la mort de William Notman, on dénombre au moins 96 studios de photographie à Montréal.

Postérité

De nos jours, la notoriété de Notman dépasse largement celle de tous ses contemporains canadiens. Une telle postérité s’explique en partie par le système de classification et d’indexation de la production du studio de Montréal : toutes les photographies sont numérotées et peuvent être datées et identifiées par sujet.

Si la rigueur méthodologique de Notman témoigne d’un esprit pragmatique motivé par le profit de son entreprise – souci de l’homme d’affaires – elle est aussi garante, aujourd’hui, de la valeur historique inestimable de son oeuvre.

Après l’acquisition des archives photographiques de Notman par l’Université McGill en 1956, les chercheurs ont graduellement découvert et révélé la richesse de cette source documentaire.

Une grande partie de nos connaissances sur la vie et l’oeuvre de William Notman provient des recherches menées par Stanley Triggs, premier conservateur attitré de la collection Notman au Musée McCord de 1965 à 1993. Ses livres et ses autres publications demeurent les références de base sur le photographe, notamment Portrait of a Period: A Collection of Notman Photographs, 1856-1915 et William Notman : l’empreinte d’un studio. D’autres ouvrages de Triggs examinent des aspects particuliers de l’oeuvre de Notman. Ainsi, The World of William Notman, écrit en collaboration avec Roger Hall et Gordon Dodds, aborde l’expansion de l’entreprise à l’extérieur de Montréal, en particulier aux États-Unis. Sa dernière publication, Les photographies composites de William Notmam, traite exclusivement d’un procédé créatif qui a contribué à la renommée internationale de Notman.

Le Musée veille sur l’héritage du photographe et de son studio. Le Archives photographiques Notman se compose de quelque 200 000 négatifs sur verre et 400 000 épreuves collées dans les registres des photos, de nombreux documents produits par le studio de Montréal.

William Notman, en synergie avec son temps, son milieu, sa famille et d’autres hommes et femmes, est à l’origine d’un nom qui s’est distingué et d’une production qui a laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective. Il importe, pour les générations futures, de poursuivre l’étude de cet oeuvre selon de multiples points de vue et de continuer l’exploration de cet immense et formidable corpus photographique.

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La version complète de cet essai d’Hélène Samson a été publiée dans Notman, photographe visionnaire sous la direction d’Hélène Samson et de Suzanne Sauvage.

Bibliographie sélectionnée

Les Archives ont fait l’objet d’un grand nombre d’articles, de thèses, de livres et de films sur les histoires de la photographie, de l’art et de la culture visuelle.

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À propos de l'autrice

Hélène Samson, Ph. D., conservatrice associée, Photographie, Musée McCord Stewart

Hélène Samson, Ph. D., conservatrice associée, Photographie, Musée McCord Stewart

Hélène partage ses recherches entre la photographie du 19e siècle et la documentation contemporaine de la société montréalaise. Sa formation en psychologie et en histoire de l’art nourrit son intérêt particulier pour le portrait photographique comme forme d’expression de l’identité narrative. 
Hélène partage ses recherches entre la photographie du 19e siècle et la documentation contemporaine de la société montréalaise. Sa formation en psychologie et en histoire de l’art nourrit son intérêt particulier pour le portrait photographique comme forme d’expression de l’identité narrative.