Résonance

Des perspectives multiples sur l’histoire sociale de Montréal et les collections du Musée, un accès privilégié à ses coulisses et aux gens qui l’animent

Laura Dumitriu © Musée McCord Stewart, 2025

L’importance de la représentation : la conception des mannequins de l’exposition Afrique Mode

Rachael Lee, restauratrice principale, explique comment le V&A a créé des mannequins qui mettent en valeur et célèbrent la mode africaine.

Le Musée McCord Stewart se réjouit à lidée de présenter en exclusivité canadienne lexposition Afrique Mode, conçue par le Victoria & Albert Museum (V&A) de Londres. Afin daccompagner cette exposition unique, le Musée a le plaisir de publier le présent article, mettant en lumière le processus de création des mannequins, initialement paru en anglais sur le blogue du V&A le 25 janvier 2023.

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Les mannequins jouent un rôle fondamental
dans la conception des expositions de mode du V&A. Le choix du bon mannequin, qui sert de support sur lequel on peut ajouter la bourre et les couches de base confectionnées sur mesure, est crucial pour la présentation dun vêtement. Le mannequin de lexposition
Africa Fashion,présentée en 2022 au V&A, revêt une importance particulière puisquil participe à la trame narrative de lexposition, en tant que moyen damplifier la visibilité du continent africain et la culture visuelle de ses créatrices et créateurs de mode. En constatant le manque de diversité parmi les mannequins offerts sur le marché, le V&A se devait dinnover en créant un nouveau support qui incarnerait les thématiques abordées par lexposition tout en représentant les identités de lAfrique et de sa diaspora. Léquipe du projet était unanime : lutilisation dun mannequin eurocentriste serait illogique, et un corps dépourvu de tête serait une réelle occasion manquée datteindre lobjectif souhaité.

De multiples approches s’offraient à l’équipe pour la création du mannequin, et plusieurs méthodes furent proposées. Dernièrement, l’équipe de mannequinage du V&A a eu recours à la technologie numérique pour concevoir et fabriquer des prototypes de nouveaux mannequins, une technique ayant porté ses fruits. Compte tenu du budget et de l’échéancier, la sculpture numérique s’est avérée encore une fois la manière la plus efficace de créer une nouvelle silhouette. Plusieurs questions nécessitant une réflexion approfondie furent toutefois soulevées, notamment quant à la manière de représenter un continent aussi diversifié que l’Afrique au moyen d’un seul mannequin.   

Les membres du réseau de perspectives mondiales du V&A (en anglais Global Narratives Network [GNN]) ainsi que du groupe de coconception d’Africa Fashion, composé de jeunes de 16 à 24 ans, ont été consultés en amont. Tout au long du processus, le directeur artistique kényan Sunny Dolat, qui a agi à titre de consultant en recherche pour l’exposition, a également offert un précieux accompagnement. Les questions relatives à la morphologie du corps, à la physionomie ainsi qu’à la couleur des cheveux et de la peau ont été abordées. L’apparence du mannequin devait se démarquer par des traits africains immédiatement reconnaissables, rappelant la beauté des modèles d’aujourd’hui. Pour ce faire, l’équipe a décidé de créer une nouvelle tête aux traits féminins pouvant se superposer à une variété de corps, permettant ainsi d’inclure des mannequins aux tailles et aux poses variées. Afin d’offrir une diversité de silhouettes, quatre couleurs représentatives des teintes de peau et trois coiffures ont été imaginées pour compléter l’apparence du mannequin.

 

Fabrication de la tête

La richesse du continent africain, où la beauté prend de nombreuses formes, offre un foisonnement de sources dinspiration. Il fallait toutefois se doter dun point de référence unique pour entamer le processus de création de la nouvelle tête. Léquipe souhaitait faire preuve de transparence lors de la conception, en collaborant avec une personne qui agirait comme muse pour la création du mannequin.

Adhel Bol posant pour Ami Doshi Shah, 2020

Suivant les conseils de Sunny, la modèle Adhel Bol a été invitée à participer au projet. Ses traits sud-soudanais caractéristiques incarnent parfaitement la beauté africaine, de même que lascension des modèles dAfrique sur la scène internationale de la mode.

Premier résultat numérique produit par Universal Display. © Victoria and Albert Museum, Londres

Des portraits récents fournis par Adhel ont été envoyés à lentreprise londonienne de fabrication de mannequins Universal Display. La tête a été sculptée à partir dune maquette numérique en argile offrant une représentation fidèle des traits dAdhel. Comme lobjectif nétait pas dobtenir un effet hyperréaliste, la tête a ensuite été « soufflée », un processus qui permet dadoucir lensemble du visage pour mettre en valeur les principaux traits, comme les yeux et la bouche. Puisque le tout a été effectué à distance et sans les dimensions exactes, des prototypes 3D ont été imprimés pour veiller au respect de léchelle et de lesthétique sculpturale.

Prototypes imprimés en 3D. © Victoria and Albert Museum, Londres

Une fois la tête retravaillée et mise à léchelle, la prochaine étape consistait à y ajouter différentes coiffures. Léquipe a soigneusement réfléchi à lhistoire ainsi quà la signification entourant le cheveu noir et sa texture, de même quà la manière de le reproduire sur un mannequin en fibre de verre. Cette matière, une surface dure et lisse, ne se prête généralement pas bien aux textures fortement ondulées. Les traditionnelles nattes collées vers larrière, appelées Irun Dídì,et les nœuds bantous ont pu être sculptés dans la fibre de verre grâce à un éventail doutils à modeler numériques. Le résultat final atteint un certain degré de réalisme, qui permet de voir la manière dont les cheveux sont séparés, ainsi que le sens des torsades et nattes. Une coiffure rasée texturée a également été créée pour proposer trois styles distincts. 

Couleur

Parallèlement aux travaux délaboration de la tête, léquipe sest penchée sur les couleurs de finition du mannequin. Les recherches initiales ont mené aux travaux de la photographe Angélica Dass, qui réalise des portraits où les teintes des visages reproduisent les couleurs du nuancier Pantone®. Léquipe a opté pour une approche similaire, en repérant une gamme de couleurs de peinture correspondant à des images de référence. Des échantillons de couleurs ont ensuite été appliqués en petite quantité sur les mannequins. De multiples essais de couleurs furent nécessaires, comme les teintes des images ressortaient différemment sur une surface tridimensionnelle. Les couleurs du mannequin devaient non seulement représenter un éventail de teintes de peau propre au continent, mais aussi sintégrer dans la scénographie, en sharmonisant aux vêtements présentés. Tous ces facteurs furent pris en considération, et un sondage a été mené auprès des membres du GNN, qui devaient voter pour déterminer le choix final des couleurs ainsi que la proportion des teintes de peau représentées dans lexposition.

Conclusion

La préparation de cette exposition révolutionnaire a permis de créer des mannequins à limage de la majorité mondiale, qui mettent en valeur et célèbrent la mode africaine. Lélaboration dune nouvelle tête, créant ainsi un mannequin pleine grandeur, confère une esthétique qui amplifie les thématiques de lexposition, quil sagisse du panafricanisme ou de lautoreprésentation.

Mannequins finaux en salle. © Victoria and Albert Museum, Londres

Les mannequins, combinés à des méthodes internes de mannequinage, ont permis de mettre en valeur les ensembles exposés et de capter lair du temps. Sil était impossible de représenter lentièreté des esthétiques noires et africaines issues de 54 pays dans un seul mannequin, les différentes coiffures et couleurs de finition permettent de légères variations entre les silhouettes, alors quun plus grand éventail didentités africaines est représenté par le biais de photographies et de films.

Adhel Bol devant la plateforme de la zone de l’exposition intitulée « Mixologist ». © Victoria and Albert Museum, Londres

Les technologies de conception numérique actuelles offrent de nombreuses possibilités en matière de création de mannequins qui mettent en valeur la diversité des collections et publics du Musée, qui se doit de continuer à trouver des moyens authentiques et créatifs de présenter la mode. Après avoir visité lexposition et vu les mannequins dont elle a inspiré la création, Adhel a su parfaitement exprimer limportance du processus entrepris : 

« Je nai jamais vu de mannequin brun ou noir, encore moins un mannequin avec des coiffures africaines comme des nattes et des nœuds bantous, et avec nos traits africains si bien mis en valeur lèvres charnues, pommettes saillantes, nez évasé… En me voyant ainsi représentée, jespère que cela pourra inspirer quelques filles et garçons noirs à se sentir vus, inclus dans la discussion, que ce soit dans une pièce, sur la scène internationale de la mode ou dans tout autre secteur important de la vie. »

Adhel Bol, novembre 2022