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Photographe inconnu.e, La guide Murielle Mailloux, 47e Saint-Sacrement, debout dans un ruisseau, QC, vers 1963. Don de Murielle Mailloux, M2006.16.9.37, Musée McCord Stewart

La quiétude de la campagne face au tumulte de la ville

Depuis deux siècles, ville et campagne s’opposent radicalement dans les sensibilités québécoises, comme en témoignent les archives du Musée.

Anouk Palvadeau, archiviste junior, Musée McCord Stewart

6 juin 2025

En explorant les divers fonds d’archives historiques conservés au Musée McCord Stewart, on constate combien l’opposition entre la ville et la campagne s’inscrit dans la longue durée au Québec, évoquant des imaginaires qui demeurent encore aujourd’hui bien vivaces.

Le contraste entre le tumulte énervant et malsain de la ville et la quiétude apaisante de la campagne est déjà évoqué, au début du 19e siècle, dans les écrits de l’homme politique Louis-Joseph Papineau (1786-1871). Pris dans la tourmente des affaires, des intrigues et des luttes politiques qui agitent Montréal, il écrit plus d’une fois à sa sœur Marie-Rosalie (1788-1857) combien il envie sa vie tranquille à la campagne, dans la seigneurie familiale de La Petite-Nation, en Outaouais :

Combien de fois pendant tout ce brouhaha nous aurions souhaité partager la douceur de votre retraite, que nous vous trouvions heureux. Je dois te complimenter sur les avantages que tu parais avoir retiré [sic] de ta solitude. Ce n’est pas de la maturité de ta raison[,] de ta force stoïque, du courage philosophique avec lequel tu supporte [sic] ton exil que je te louerai. Je m’y trouverais heureux, et serais heureux, et serais aussi sage que toi, tout chétif vaurien que je sois.
9 décembre 1811

J’espérais jouir de quelques jours de repos et de douceur au milieu de vous, je m’y préparais. Ces préparatifs il faut les changer et s’occuper de ceux que demande un nouveau voyage à Québec. S’il est quelqu’instant où vous deviez goûter la Paix de la tranquilité [sic] dont vous jouissez dans votre retraite, c’est le moment présent. Tu ne te fais pas d’idée de l’état présent de la société parmi nous. L’espionage [sic ] l’intrigue le mensonge sont les armes dont chacun se sert pour se nuire réciproquement et [à] ces mécontentemens [sic] du dedans se joignent [sic] l’inquiétude des maux du dehors. S’il y a partout quelque chose à craindre, sois assurée que c’est moins à votre poste que nulle part ailleurs. Profitez bien de votre situation; […]
7 juillet 1812

La ville insalubre

Lieu agité et chaotique, la ville est aussi perçue à cette époque comme un endroit particulièrement sale et insalubre, car le développement des infrastructures urbaines tarde à suivre celui des besoins d’une population en rapide croissance. L’insalubrité et la pollution de la ville se font notamment ressentir au début de l’été, comme l’indique Marie-Angélique Hay Des Rivières (1805-1875), résidente des Cantons de l’Est, alors en voyage à Montréal. Elle y écrit dans son journal, le 19 mai 1848 : « Il fait une chaleur épouvantable, une poussière à n’y pas voir clair – de ma vie, je n’ai jamais vécu de pareil. »

Le 20 mai, elle ajoute, après son départ de la ville : « Comme j’ai trouvé la campagne belle, j’ai su l’apprécier doublement, après avoir tant souffert à la ville de la chaleur, de la poussière, de la mauvaise odeur. Je ne voudrais pas demeurer à la ville surtout pendant la belle saison. »

Cette perception aura la vie dure. Selon l’historienne Caroline Aubin-Des Roches, au tournant du 20e siècle, « [la] métropole est présentée comme un lieu caractérisé par le manque d’air, où la chaleur est torride, où les individus s’entassent et où le rythme de la vie quotidienne est effarant. Le bruit et la poussière s’ajoutent à ce monde qui semble presque invivable quand arrive le temps des grandes chaleurs des mois d’été ».

L'insécurité en ville

L’industrialisation et l’urbanisation intenses qui marquent la seconde moitié du 19e siècle amènent de nombreux défis à Montréal, devenue la ville la plus peuplée et le plus grand centre industriel du Canada. Avec une population grandissante, l’insécurité se fait ressentir en raison, notamment, d’une présence policière jugée insuffisante et incapable.

Dans une lettre à Fanny Leman (1844-1914) datée du 11 mars 1866, Louis-Antoine Dessaulles (1818-1895) raconte que son quartier est en proie aux vols :

Montréal est infesté d’une bande de voleurs et d’incendiaires récemment venus des États-Unis. Je crois qu’en disant que nous en avons une centaine au moins je n’exagère rien. Deux de ces messieurs ont commencé leurs opérations dans mon voisinage immédiat. […] Les bandits choisissent toujours l’heure à laquelle tous les hommes sont partis. Tu peux penser si le quartier est en émoi. La police est complètement insuffisante pour la ville et il faut en quelque sorte que chacun se protège.

La nature, antithèse des nuisances de la ville et lieu de ressourcement

En plus de l’inconfort et de l’insécurité perçus de la ville, le rythme effréné de la vie urbaine contraste fortement, aux yeux de plusieurs, avec la quiétude de la campagne. Caroline Aubin Des-Roches explique que l’industrialisation, l’urbanisation et les innovations technologiques « donnent l’impression que le monde est désormais plus complexe et que le temps s’est accéléré ».

Ce constat semblait déjà partagé par Marie-Angélique Hay Des Rivières, qui ne pouvait s’imaginer vivre à Montréal : « Combien je plains ceux qui sont obligés d’y résider. J’ai tant marché pendant mon séjour à la ville que je suis fatiguée, que je n’en peux plus, que je suis heureuse d’être de retour chez moi. » (20 mai 1848) Et ce, même si elle se dit bien embêtée à son retour par l’omniprésence des maringouins autour de sa maison à la campagne…

Plus tard, la perception d’une ville en mouvement perpétuel continuera d’être mise en opposition avec le calme de la nature, notamment avec le développement du mouvement des scouts et des guides au début du 20e siècle. On retrouve cette image dans le Cahier de cantonnement d’hiver de la 47ème compagnie de Lachine de 1963, conservé dans le fonds d’archives de Murielle Mailloux (1942-).

Le thème du camp, « La vie dans les sapins », y est expliqué comme suit :

Dans le calme d’un paysage d’hiver, quand une brume dorée noye [sic] les montagnes bleues où la gelée fait luire des plaques de neige violettes et les troncs gomeux [sic] des sapins, il s’en dégage une impression de paix, de pureté, de profondeur, de tant de choses dont nous avons besoin… La vie agitée de la ville laisse disparaître son rythme submergé devant la splendeur d’un paysage laurentien. La vie qui se cache derrière cette muraille de sapins, une fois découverte, ne se lasse pas de nous maintenir en une zone calme dans laquelle il sera possible d’affermir et de refléter notre guidisme.

Comme le dit l’historien Pierre Savard dans son article « L’implantation du scoutisme au Canada français », ce mouvement a émergé au Québec dans les années 1920 en « réponse au moins partielle au manque de structures de loisirs d’été pour les jeunes dans une ville comme Montréal », tout en étant également un moyen d’enseigner des valeurs chrétiennes. Problématique évoquée par l’éditorialiste Omer Héroux (1876-1963) dans Le Devoir du 6 mars 1926, où il soulignait les vertus de la vie rurale, source de développement et de bonheur plus difficilement accessible pour les jeunes en milieu urbain :

Nous sommes une fois de plus ici en face de l’un des multiples problèmes nés de l’existence et de la croissance des grandes villes. […] Nous en appelons au souvenir de tous les petits citadins qui ont eu la chance de passer leurs vacances chez des parents de la campagne : quand ont-ils été plus heureux? L’enfant, par la même occasion, se développe physiquement et s’instruit. La vie rurale, c’est la grande école d’initiative, de débrouillardise, de calcul et d’énergie. À la ville, la situation est toute différente. La fermeture des classes jette sur le pavé des milliers de jeunes enfants qui ne savent vraiment plus que faire de leur peau.

Pour les artistes aussi, la nature se révèle être un lieu de ressourcement particulièrement efficace, comme le souligne le peintre Clarence A. Gagnon (1881-1942) dans une lettre adressée au Dr Euloge Tremblay (1878-1946), le 18 décembre 1916. Après une retraite artistique estivale dans la région de Charlevoix, il décrit l’état d’esprit positif qui l’habite depuis son retour :

La tranquillité que j’ai trouvé [sic] cet été à la Baie m’a complètement remis le moral, les mauvais jours ne m’ont jamais parus [sic] plus lointains, et j’envisage la nouvelle année qui vient dans mon atelier avec beaucoup d’optimisme, et le travail me fera oublier les vilaines heures du passé.

Il y exprime un enthousiasme pour Baie-Saint-Paul et ses habitants : « […] j’adore ce coin de notre province, car pour moi il est l’idéale retraite pour un artiste et un fervent de la nature; il faut [dire] aussi que la sympathie que j’y ai trouvé [sic] a énormément contribué à l’attachement que j’ai pour ce coin si pittoresque. »

L’idéalisation de la campagne et de la nature traverse ainsi l’histoire du Québec depuis deux siècles, prenant différentes formes jusqu’à ses manifestations actuelles dans la culture contemporaine. Dans plusieurs cas, cependant, elle s’avère être en fait la marque et la réaction d’une société de plus en plus irrémédiablement urbaine.

Pour en savoir plus

Références

Aubin-Des Roches, Caroline. « Retrouver la ville à la campagne : la villégiature à Montréal au tournant du XXe siècle », Revue d’histoire urbaine / Urban History Review, vol. 34, no 2, 2006, p. 17-29. https://doi.org/10.7202/1016010ar

Héroux, Omer. « Pour nos enfants », Le Devoir, 6 mars 1926. https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2802880

Savard, Pierre. « L’implantation du scoutisme au Canada français », Les Cahiers des dix, no 43, 1983, p. 207-262. https://doi.org/10.7202/1015550ar

 

Merci

Ce projet a été rendu possible en partie grâce au soutien financier de Bibliothèque et Archives Canada.

À propos de l'autrice

Anouk Palvadeau, archiviste junior, Musée McCord Stewart

Anouk Palvadeau, archiviste junior, Musée McCord Stewart

Diplômée en études anglaises, journalisme et archivistique, Anouk met à profit ses différentes habiletés au sein du Musée et apporte son soutien dans le cadre de projets de traitement et de diffusion d’archives. Elle s’intéresse notamment au point de vue des femmes dans les documents d’archives et à leurs récits à travers le temps.
Diplômée en études anglaises, journalisme et archivistique, Anouk met à profit ses différentes habiletés au sein du Musée et apporte son soutien dans le cadre de projets de traitement et de diffusion d’archives. Elle s’intéresse notamment au point de vue des femmes dans les documents d’archives et à leurs récits à travers le temps.